Vive Vittorio, vive l’affiche qui hurle !

Figure 1
Vittorio Fiorucci (1932-2008), Pauline, 1964, Numérisation d’un négatif 6 x 6 cm (2 ¼ x 2 ¼ po.), © Succession Vittorio Fiorucci.

Figure 2
Vittorio Fiorucci (1932-2008), Affiche pour le film À tout prendre, 1963, Collection de la Cinémathèque québécoise
Au début des années 1950, il est de plus en plus fréquent que les personnes qui s’intéressent aux arts graphiques (dessin, typographie, graphisme publicitaire, etc.) soient aussi habituées à la photographie. On observe dans leurs travaux un usage coordonné de thèmes et de motifs récurrents (poses des modèles, choix des techniques d’éclairage, compositions, etc.), et des liens croissants entre les différents médias : une photo peut reproduire un design tiré d’une sculpture, qui elle-même s’inspire du cinéma. On parle alors d’« intermédialité », c’est-à-dire d’un langage plastique défini ou d’une esthétique cohérente qui se base sur la rencontre des médiums artistiques.
Le travail de Vittorio Fiorucci est un bon exemple d’intermédialité. Créateur québécois, il s’illustre d’abord sur la scène locale avant de développer une carrière internationale durant la seconde moitié du XXe siècle. Affichiste, caricaturiste, photographe et scénariste, Vittorio émigre à Montréal en 1951 depuis Zadar, en actuelle Croatie. Dès son arrivée, il fait ses premières armes avec la bande dessinée, la poésie, le graphisme publicitaire et la photographie, qui paraissent dans le journal L’Autorité dès 1953. Artiste fécond au style graphique percutant, il privilégiera la photographie et la sérigraphie tout au long de sa carrière. Croisant parfois les deux techniques dans des photo-sérigraphies en haut contrastes, il réalise des affiches pour le milieu des arts visuels, du théâtre, passant par la musique, le spectacle et le cinéma.
Dans un rare moment d’émulation, qui coïncide avec la rencontre et les premiers moments de son amitié indéfectible avec Michael Flomen, il publie Un jour on Crescent Street, livre photographique conceptuel pensé autour d’une déambulation sur la rue Crescent à Montréal, sur le chaud bitume d’un jour d’été. Représentative de la photographie de rue et construite au hasard des rencontres fortuites, la démarche de Fiorucci prend la forme d’un long panorama de la faune d’un Montréal bilingue en pleine effervescence composée d’artistes et de remarquables inconnus.
Dans les années 1980, il forge la signature visuelle et les personnages de plusieurs événements artistiques ou commerciaux, notamment celui du festival Juste pour rire auquel il est généralement associé. Il a été désigné dans les années 2000 parmi les dix artistes les plus influents des cinquante années précédentes, et est l’un des rares artistes québécois figurant dans la collection permanente du Museum of Modern Art (MoMA) de New York, en plus d’avoir reçu de nombreuses distinctions nationales ou internationales pour le caractère exceptionnel de son travail.
Pour ce portrait réalisé lors d’une exploration libre un jour frais de printemps (fig. 1), Vittorio choisi d’interrompre la déambulation de son modèle féminin devant un mur de crépi texturé situé à l’arrière de la résidence art déco de l’architecte Ernest Cormier, au 1418 avenue des Pins ouest, à Montréal. Sous sa coupe moderne à la garçonne, Pauline adresse au photographe un regard d’une fauve intensité. Seuls ses yeux sont visibles alors que d’une main gantée de velours noir, elle presse le haut col de son manteau sur sa bouche et son nez. L’étoffe laineuse dans laquelle elle s’emmitoufle présente des textures graphiques riches, magnifiées par les tonalités de la pellicule monochrome. Dans un jeu géométrique simple et efficace – propre au travail de l’affichiste –, la conjugaison des courbes et contre-courbes du crépi et de l’étoffe auréole le sujet et dirige l’attention du lecteur de l’image vers le regard pénétrant du modèle. Celle-ci semble vouloir établir avec le photographe (et, par conséquent, avec nous) un dialogue silencieux entre deux actions et où mille mots semblent suspendus, le temps d’une image qui suggère une tension irrésolue. Cette géométrie du corps et des tonalités, Fiorucci s’en servira également pour la création de l’affiche du film À tout prendre (1963). Augmentant les contrastes d’une photo de l’actrice et mannequin Joanne Harelle (fig. 2), il pousse l’image en direction de l’abstraction. Comme pour le portrait de Pauline, le modèle est ici distillé à sa plus simple expression – quelques plans d’encre noire sur le papier – et la profondeur de champ disparaît au profit de quelques motifs suggérés à la surface de l’image.
Principales collections
- Museum of Modern art, New York
- Musée national des beaux-arts du Québec
- Bibliothèque et Archives nationales du Québec
- Musée des beaux-arts de Montréal
- Musée d’art contemporain de Montréal
Bibliographie
Bourassa, P. (2003). Viva Vittorio. Musée National des beaux-arts du Québec.
Choko, M. H. (2015). Dans l’œil de Vittorio. Éditions de l’Homme.
Fiorucci, V., Lennad, P. et McKeen, G. (1973). Un jour on Crescent Street. Progression.
Bourassa, P. (2003). Viva Vittorio. Musée National des beaux-arts du Québec.
Choko, M. H. (2015). Dans l’œil de Vittorio. Éditions de l’Homme.
Fiorucci, V., Lennad, P. et McKeen, G. (1973). Un jour on Crescent Street. Progression.