La vie, l’œuvre et la célébrité du portraitiste Gaby

Gaby fait partie des photographes québécois et canadiens qui, comme Yousuf Karsh, ont travaillé à l’international[01]. Entre 1950 et 1980, Gaby (Gabriel Desmarais, 1926-1991) a photographié les plus importantes personnalités du monde occidental, que ce soit les vedettes de Hollywood (Jayne Mansfield, Kirk Douglas, Charlton Heston), les artistes québécois et européens (Maurice Chevalier, Jean Duceppe, Hergé, Marjolaine Hébert, Dominique Michel, Félix Leclerc), la monarchie (Grace de Monaco, la Reine Élizabeth II), les grands scientifiques (Dr Wilder Penfield, Dr Hans Selye, Albert Schweitzer), les musiciens et chanteurs (Charles Aznavour, Glenn Gould, Louis Armstrong, Oscar Peterson), les politiciens (Robert Bourassa, Pierre Elliott Trudeau, Maurice Duplessis, Charles de Gaulle, Jean Lesage, Louis St-Laurent) ou encore les grands écrivains comme Jean Cocteau et les grands sportifs comme Maurice Richard.

Les archives de Gaby contiennent de rares images montrant le photographe lui-même accompagné du journaliste Sam Schecter à Moscou en 1959. C’était la première fois depuis le passage de Margaret Bourke-White, en 1941, qu’un photographe occidental franchissait la frontière russe. Cette dernière travaillait pour le magazine LIFE. Gaby a pour sa part aussi fait des images de la Cité du Vatican et de ses trésors, de l’Expo 67 à Montréal, de la Grèce et de ses sites olympiques, de Paris, et d’une multitude d’autres lieux.

Dans une lettre adressée à Gaby en 1961, Cocteau écrit « Puisque la peinture se veut abstraite, les photographes restent nos seuls portraitistes, de véritables miroirs qui pensent. Chez Gaby le miroir ne se contente pas de penser et “réfléchir”, il parle. » Dans ses meilleures années, Gaby jouit d’une réputation telle qu’on parle de lui dans les journaux un peu partout sur la planète. Notamment à Los Angeles, à Londres, à Moscou, à Toronto et bien évidemment à Montréal.

En quelques années, il passe de photographe amateur à photographe reconnu internationalement. C’est en 1944, alors âgé de 18 ans, qu’il arrive à Montréal pour travailler comme commis de banque. En parallèle, il suit des cours de photographie par correspondance de l’American School of Photography de Chicago et s’exerce en faisant la tournée des cabarets pour photographier le beau monde (à cette époque, on s’habillait chic pour aller au cabaret et dans les clubs). En 1946, il ouvre un premier studio à Montréal, rue Sainte-Catherine Est. Il est fasciné par les grands artistes qui posent pour lui. Gaby est un boulimique de culture et il utilise son charme et ses connaissances pour échanger avec les modèles qu’il photographie sur un sujet qui les passionne : c’est à cet instant qu’il appuie sur le déclencheur. En plus de Montréal, il aura des studios temporaires à New York et Los Angeles et à Québec, où il photographiera les politiciens, les sportifs, les artistes, ainsi que les gens de la « bonne société ». Le style unique de Gaby fait de lui un incontournable un peu partout en Amérique et en Europe. Pendant une trentaine d’années, sa notoriété lui permet d’organiser des expositions où il présente ses plus récents portraits et les reportages de ses voyages, puis de prononcer des conférences partout au Québec.

Afin d’éviter les rigueurs de l’hiver, il décide de passer six mois par année en Californie et se fait construire une résidence à Beverly Hills. Puis, au début des années 1980, il vend cette propriété afin de s’installer à Monaco pour sa retraite. Le krach boursier de 1987 lui fait perdre une grande partie de sa fortune et l’oblige à revenir à Montréal. De retour au Québec, il réalise qu’après tant d’années d’absence, on l’a oublié!

Portait de la comédienne Dominique Michel

Cette photo démontre deux choses, tout d’abord que Gaby était un maitre photographe, mais aussi un tireur d’expérience. Il a probablement mis autant de temps à concevoir l’éclairage et à prendre la photo que de la tirer en chambre noire.

L’éclairage est dramatique : Gaby jumelait un système de flash avec d’autres types d’éclairages, et utilisait un appareil photographique grand format qui lui permettait d’obtenir beaucoup de détails et une grande richesse tonale. On observe que le visage, comme fait de porcelaine, ressort immédiatement. Il a été savamment éclairé : c’est la zone la plus lumineuse de l’image, celle qui attire le regard en premier. L’œil se dirige ensuite vers une autre zone lumineuse, celle de l’épaule dextre, pour aboutir au décolleté, puis remonter le long de la zone d’ombre du côté droit pour revenir enfin vers le visage. Comme une boucle sans fin, ce découpage d’ombre et de lumière montre comment Gaby joue avec la lumière à la manière d’un peintre. Le photographe s’assure aussi que la pose de son sujet mette ses traits en valeur et dynamise l’image. On remarque que les épaules de Mme Michel pointent légèrement vers la droite tandis que son visage, lui, pointe vers la gauche : ce genre de courbe accentue le trajet que l’œil suit vers les zones lumineuses et nous ramène vers la beauté de ce visage.

L’éclairage et le travail sur l’image en chambre noire servent à donner du relief à la physionomie du modèle. L’éclairage en arrière-plan participe à ce jeu de séduction : la balance droit-sombre et gauche-lumineux autour de la tête de Dominique Michel crée un halo. Elle devient une star, une princesse avec son diadème d’éclat de lumière.

Principales collections

  • Les archives de portraits québécois sont à Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à Montréal. Fonds Gabriel Desmarais (Gaby) P795.
  • Une autre partie importante des archives de Gaby appartiennent à son fils, Ronald Desmarais.

 

Robert Hébert

01 Si Karsh s’est illustré par le portrait, il faut également mentionner Roloff Beny pour les reportages.

Bibliographie

Baillargeon, S. (2003, 8 novembre). De Cré Basile à Bertrand Russell, en passant par Bébé Doc. Le Devoir.

Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Vidéo sur l’exposition Gaby Maître du portait.

Callwood, J. (1959). A New Gallery of French Canadian Portraits by French Canada’s Most Famous Photographer. Maclean’s Magazine, 17-22.

Cannoy, G. (1965, 8 novembre). Master of Portraits. Los Angeles Herald Examiner.

Cloutier, M. (2014, 17 septembre). Gaby – Maître du portrait : images parlantes. La Presse.

Daignault, D. (2014, 15 septembre). L’œuvre du grand photographe Gaby revit ! Le Journal de Montréal.

de Repentigny, R. (1954, 2 octobre). Un artiste créateur, le portraitiste Gaby. La Presse, 67.

Doyon, F. (2014, 16 septembre). Galerie de portraits à ciel ouvert. Le Devoir, B-8.

Fortin, J.-C. (1959, 9 juin). Gabriel Desmarais expose en Russie. La Presse, 33

Gaby et Schecter, S. (1959, 19 septembre, 26 septembre et 3 octobre). Deux Canadiens ont rencontré des artistes russes chez eux. Perspectives, 10-15, 8-15 et 10-12.

IEGOR – Hôtel des encans. (2006). Collection Gabriel Desmarais, Gaby (1926-1991).

Lapointe, L. (2003). Gaby photographe. Les Édition Stromboli.

Nadeau, J.-F. (2006, 4 mai). Deux cent soixante clichés du photographe montréalais Gaby seront mis en vente ce mois-ci. Le Devoir.