John Max : la photographie au-delà de l’intime

John Max (1936-2011) est à la fois un mythe de la photographie canadienne et, paradoxalement, relativement inconnu. Jouissant d’une reconnaissance internationale dans les années 1970 grâce à ses séries Open Passport et Le soleil brilla toute la nuit, il tombe peu à peu dans l’oubli jusqu’aux années 2000. Max meurt en 2011 dans le dénuement, laissant derrière lui un vaste fonds d’archives, encore à explorer, qui reflète la densité de son travail photographique. Bien que son œuvre n’ait été que partiellement connue pendant de nombreuses années, elle est aujourd’hui reconnue pour sa puissance formelle et sa profondeur.

John Max est considéré comme l’un des photographes les plus importants au Canada, notamment pour sa capacité à capturer l’essence des décennies 1960 à 1980. Sa transition du documentaire à l’art, l’appui qu’il obtient des institutions, ainsi que la manière dont des artistes qui le suivront réinterprètent son œuvre (Henri Cousineau, Serge Clément, Christopher Mayo, Benoit Aquin, Marc Séguin et Susan Dobson), illustrent son influence persistante. Des expositions récentes et des études critiques ont mis en lumière son rôle clé dans l’évolution de la photographie contemporaine au Canada. La conservatrice et critique de la photographie Andrea Kunard[01] le considère d’ailleurs comme une figure artistique majeure au Québec.

John Porchawka nait à Montréal le 23 septembre 1936 de parents ukrainiens. Il passe son enfance dans le quartier Rosemont, qui restera son port d’attache toute sa vie. Le jeune John suit des cours à l’École d’art et de design du Musée des beaux-arts de Montréal (Gordon Webber compte parmi ses enseignants) et, dès 1955, il s’intéresse à la photographie. Cette année-là, au Museum of Modern Art (MoMA) à New York, ouvre l’exposition The Family of Man. Il n’est pas certain qu’il l’ait vue dans sa version new-yorkaise bien qu’il se soit rendu fréquemment dans la ville américaine à cette époque, mais l’exposition voyage à Montréal. Rassemblant sous un message humaniste le travail de plus de 500 photographes de différents pays, cette exposition affirme un désir de paix mondiale en pleine Guerre froide, présentant entre autres les œuvres d’artistes dont le jeune montréalais s’inspirait déjà, tels que Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson et Willy Ronis. John Porchawka comprend que la photographie est plus qu’un simple médium de reproduction du réel : c’est un moyen d’expression personnelle. En 1956, il adopte le pseudonyme John Max, qu’il choisit pour sa simplicité.

Il commence sa carrière dans les cafés et les bars, où convergent les artistes de sa génération, et se construit un impressionnant portfolio. Chorégraphes, sculpteurs, poètes, écrivains et écrivaines font partie de son entourage et passent devant son objectif. Max constitue ainsi un véritable reflet de la scène artistique et de la culturelle québécoise.

Les années 1960 et 1970 se révèlent déterminantes pour Max. En 1960, il signe sa première exposition solo, John Max Shouts: Enough, No More, I Want, qui propose une séquence d’images de la chorégraphe Suzanne Rivest, présentée comme une réinterprétation du chemin de croix. Cette exposition suscite le scandale et fait sensation dans le milieu artistique. Parallèlement, son travail est régulièrement publié dans des magazines tels que Vie des arts, Perspectives ou Weekend Magazine, ce qui attire l’attention de Lorraine Monk, alors productrice exécutive au Service de la photographie de l’Office national du film du Canada (ONF). Elle lui permettra de participer à plusieurs projets collectifs, ainsi qu’à mettre sur pied sa deuxième exposition solo, cette fois en France, intitulée Le soleil brilla toute la nuit (1970). À l’écran, il collabore aux films d’avant-garde d’Arthur Lipsett 21-87 (1963) et N-Zone (1970) et produit toutes les images du film …to be INDIAN (1970), réalisé par Jesse Nishihata. Ce documentaire anime les images fixes de John Max pour tracer un portrait des Cris des Plaines et des Chipewyans en Alberta à un moment clé de leur rapports avec le gouvernement fédéral.

Même si l’œuvre de John Max ne peut pas se résumer à sa série Open Passport, celle-ci n’en demeure pas moins l’une des plus abouties parmi son travail connu et diffusé à ce jour. Dans cette série présentée en 1972 sous la forme d’une exposition puis réunie dans un livre en 1973, John Max installe durablement sa grammaire visuelle. En juxtaposant 161 images ans d’un noir et blanc contrasté, il construit une narration personnelle. Les trois doubles pages reproduites ici sont autant d’exemples de la manière dont Max monte les images et joue avec leur disposition. Il s’en dégage un rythme unique, fait de répétitions, de mélanges de formats, de décrochages ou d’associations inusitées. Open Passport montre surtout son environnement intime. Max fait dialoguer des portraits de ses proches et de sa famille avec des images glanées lors de voyages et certaines extraites de ses années à photographier les artistes. Cet ensemble a priori hétéroclite est pourtant unifié par l’ambiance et l’énergie singulière qui s’en dégage.

Les pages sont tantôt remplies presque de part en part (fig. 1) tantôt consciemment laissées vides (fig. 2). Ainsi disposées, ses photos ne représentent pas un évènement, mais le suggèrent. Les images ont en commun un hors cadre qui, avec les blancs des pages, suscite émotions et troubles. Une mélancolie un peu rude, voire une étrange violence s’installe à travers, entre autres, les forts contrastes des images. Open Passport est une histoire de famille. La série, dédiée à son fils, explore les tiraillements de l’artiste face aux responsabilités de la vie de famille. Le personnage du petit garçon revient à plusieurs reprises (fig. 3) comme à la fois le fils qu’il est, mais aussi peut-être comme une métaphore du photographe lui-même, décontenancé par la réalité. Max structure son propos par rapport au médium argentique lui-même. Les images s’organisent facilement en séquence, suivant le modèle d’une planche contact, et la présence du grain et de la matière photographique est pleinement assumée.

Dans la carrière du photographe, il y aura un avant et un après Open Passport. Les années qui suivent ce succès critique ne seront pas aussi productives pour l’artiste. Max, devenu membre de l’Académie royale des arts du Canada, part pour le Japon, pays qui l’attire depuis toujours. Il y restera de 1974 à 1979, au-delà même de la durée de son visa, avant de se faire brusquement renvoyer au Canada. Il travaille sur divers projets d’expositions d’envergure relative qui ne donnent lieu qu’à une réception mitigée et limitée. En 1991, une rétrospective de son travail devait avoir lieu lors du Mois de la photo à Montréal mais l’artiste ne livrera pas à temps ses images, forçant l’annulation du projet.

On retiendra de John Max un rapport viscéral et intime à la photographie qu’il aura toujours utilisée comme un vecteur d’expression. À travers des œuvres singulières, il a marqué la photographie canadienne et l’a fait rayonner jusqu’aux États-Unis et en Europe. Open Passport demeure à ce jour son œuvre la plus connue. Mais au vu de la profusion de ses archives, on peut penser qu’y dorment encore des trésors restés secrets.

Principales collections

  • Banque d’art du Conseil des arts du Canada
  • Cinémathèque québécoise, Montréal
  • Musée des beaux-arts du Canada
  • Musée d’art contemporain de Montréal
  • Musée d’art de Joliette
  • Musée des beaux-arts de Montréal
  • Musée national des beaux-arts du Québec
  • Winnipeg Art Gallery
  • George Eastman Museum

 

Prune Paycha

01 Dans Photography in Canada 1960-2000, Canadian Photography Institute, 2017.

Bibliographie

Coleman, A. D. (1974, 11 août). The Photography Book as Autobiography. The New York Times, D25.

Cousineau-Levine, P. (2003). Faking Death: Canadian Art Photography and the Canadian Imagination. McGill-Queen’s University Press.

Guilbert, C. (2011). John Max. Un regard libre jusqu’au vertige = John Max: The Vertigo of the Free Gaze. Ciel variable (89), 57–62.

Hardy-Vallée, M. (2019). The Photobook as Variant: Exhibiting, Projecting, and Publishing John Max’s Open Passport. History of Photography, 43(4), 399-421.

Hardy-Vallée, M. (2023). John Max: Le fil conducteur de la photographie. Ciel variable, (122), 46-53.

Hardy-Vallée, M., Max, J. et Barbeau-Lavalette, A. (2025). Premières planches: photos de John Max. VU.

OhDio. (2022). Pleins feux sur John Max aux Rencontres de la photographie en Gaspésie. Radio-Canada.

Lamothe, M. (réalisateur). (2010) John Max: A portrait [documentaire]. Les Films du 3 Mars.

Lipsett, A. (1963). 21-87 [film]. Office national du film du Canada.

Lipsett, A. (1970). N-Zone [film]. Office national du film du Canada.

Max, J. (1973). Open Passport. IMPRESSIONS, 6-7.

Max, J. (1998). Quelque chose suit son cours = Something is Taking its Place. Musée de la photographie à Charleroi.

Monk, L. (dir.). (1968). Call them Canadians: A Photographic Point of View. Queen’s Printer.

Monk, L. (dir.). (1968). Ces visages qui sont un pays. Imprimeur de la Reine.

Pezolet, N., Ralickas, E., Boulet, L., Hardy-Vallée, M., McManus, K. et Tousignant, Z. (2022). Le livre = The Book. Éditions Artexte.