Apparences trompeuses chez Tom Gibson

Tom Gibson (1930-2021) est né à Édimbourg. Avant d’arriver au Canada en 1952, il travaille pendant cinq ans pour la marine marchande écossaise, ce qui lui permet de voyager abondamment au Moyen-Orient et en Afrique. C’est à Toronto qu’il s’établit, afin d’étudier la peinture au Ontario College of Art, en plus de travailler comme peintre-décorateur pour les plateaux de télévision. Alors que Tom cherche à documenter les paysages afin de les transposer en peinture, la photographie s’impose. Plus son intérêt pour ce médium grandit, moins il peint, et la photographie semble être un meilleur véhicule pour ses idées et le questionnement politique et social qu’il cherche à introduire dans ses œuvres.

C’est à la même période que Nathan Lyons l’invite à participer à un atelier au Visual Studies Workshop à Rochester, aux États-Unis. Lors de cet atelier, il rencontre James Borcoman, le conservateur de la photographie de la Galerie nationale (l’actuel Musée des beaux-arts du Canada) et Lionel Suntop, le fondateur de la revue Afterimage. De retour à Toronto, il s’implique dans la création de la Galerie Mind & Sight. Avec l’aide d’autres photographes, et en collaboration avec la galerie A Space, Mind & Sight invite Duane Michaels, Garry Winogrand, Lee Friedlander et Ralph Gibson à parler de leur travail.

À cette époque, la photographie était peu considérée dans le domaine des arts et encore moins dans le marché de l’art. Mais Tom Gibson était reconnu comme un innovateur et il continue à définir sa pratique photographique tout en enseignant au Collège technique Ryerson, à l’Université York et à l’Université d’Ottawa.

En 1976, l’Université Concordia à Montréal le recrute comme professeur afin d’implanter un programme de photographie. C’est dans cette même institution qu’il réussit, avec l’aide de ses collègues, à mettre sur pied la première maîtrise en art plastiques au Canada (MFA). Au cours des années, il aura comme collègues Gabor Szilasi, Christian Knudsen, Tim Clark, Katherine Tweedie, Clara Gutsche, Raymonde April, Mark Ruwedel, Penny Cousineau-Levine et plusieurs autres.

Malgré son importante charge d’enseignement, il continue la pratique de la photographie et expose ses œuvres partout au Canada. Il publie plusieurs fois dans le magazine OVO, dans les publications du Musée d’art contemporain de Montréal ou celles du Musée canadien de la photographie contemporaine (MCPC), dont sa dernière monographie, Des apparences trompeuses.

Sa dernière exposition a été présentée à la Galerie McClure du Centre des arts visuels à Montréal en mai 2021. Le commissaire Robert Graham y montrait le travail de trois photographes montréalais qu’il mettait en dialogue avec trois photographes internationaux : Michel Campeau avec Martin Parr; Donigan Cumming avec Miroslav Tichy et Tom Gibson avec Eadweard Muybridge. On situe l’œuvre de Gibson dans la tradition du documentaire social et de la photographie de rue, mais loin de l’instant décisif de Cartier-Bresson. Il s’intéresse à l’espace urbain comme une scène ou une mise en scène que l’on pourrait définir comme le paysage social d’un lieu. Donigan Cumming poussera cette logique de la mise en scène du documentaire social à un autre niveau.

Surface urbaine

Cette image prise à Montréal en 1980 montre bien une des particularités des œuvres de Tom Gibson : sa recherche de l’incongruité dans une photo. Il aime déambuler dans les centres-villes, que ce soit à Montréal, à Toronto ou à New York. À l’instar d’un Garry Winogrand, il recherche le détail anodin ou la situation étrange qui donne une signification à son image. Il s’intéresse à la manière dont la lumière découpe un visage ou sculpte un bâtiment. Ses images sont des surfaces à parcourir. Ici, à l’avant-plan, un homme en noir transportant une longue boîte horizontale se situe dans l’alignement parallèle d’une jeune femme tout en blanc. Rien ne se passe, mais notre cerveau perçoit dans cette scène un potentiel rebondissement qui pourrait être doux-amer.

La forme longiligne et triangulaire de la jeune femme renvoie à la forme allongée de la boîte transportée par l’homme, ainsi qu’au triangle formé par son pied, sa tête et la limite de l’ombre devant lui. Le côté gauche de la photo, plongé dans l’ombre, contraste avec la figure blanche de la fille. À l’avant-plan, un carré au sol renvoie à la forme rectangulaire du bâtiment à l’arrière-plan. Les deux personnages se trouvent donc au centre de cette image, évoluant dans un chassé-croisé de formes géométriques.

Principales collections

Une partie importante des archives de Tom Gibson sont à l’Université Concordia, Fonds P0284 (près de 4000 photos).

  • Art Gallery of Ontario
  • Carleton University Art Gallery
  • Centre Canadien d’Architecture
  • Galerie Leonard & Bina Ellen, Université Concordia
  • Musée d’art contemporain de Montréal
  • Musée d’art de Joliette
  • Musée des beaux-arts du Canada

 

Robert Hébert

Bibliographie

Cousineau P. (1979). The Banff Purchase; An Exhibition of Photography in Canada. John Wiley and Sons Canada.

Gibson, T., et James, G. (1975). Tom Gibson : Signature 1. Office national du film.

Gibson, T., et Langford, M. (1994). Tom Gibson : Des apparences trompeuses [catalogue d’exposition]. Musée canadien de la photographie contemporaine.

Langford, M. (1984). Photographie canadienne contemporaine de la collection de l’Office national du film. Hurtig.

Lessard, M., Allaire, S., Brault, M., Gagnon, L. et Lauzon, J. et Corbo, C. (1995). Montréal au XXe siècle, regards de photographes. Les Éditions de l’Homme.

Winogrand, G. et Bishop. H. G. (1975). Women Are Beautiful. Light Gallery Books.