Antoine Desilets : le père du photojournalisme moderne au Québec

Les photojournalistes sont toujours intéressants, car ils racontent l’histoire d’une communauté et Antoine Desilets (1927-2019) ne fait pas exception. Le legs de Desilets se compose d’images qui racontent l’esprit inventif des Québécois, en particulier lors de l’Expo 67, mais aussi leur côté turbulent, dans les manifestations, par exemple. On y trouve ses expérimentations avec des lentilles très grand angle, comme le « fisheye », ainsi que des photos de séjours en Afrique et en Russie. Desilets a aussi couvert des centaines d’événements pour le journal La Presse, puis pour le journal indépendantiste Le Jour. Sa carrière est prolifique et diversifiée.

À 12 ans, Antoine Desilets apprend la photographie auprès de son oncle l’abbé George Desilets, un physicien reconnu. En 1946, il s’inscrit à un cours de photographie par correspondance de la New York Institute of Photography. Cette base sera complétée par une solide formation au sein de l’armée, dans l’Aviation royale canadienne. En 1947, diplôme en poche, il quitte l’armée. Cette même année, il épouse Jeanine Alain, collaboratrice d’exception avec qui il aura six enfants.

De 1948 à 1959, en plus de faire de la photographie de rue, il occupe toutes sortes d’emplois afin de bien s’équiper. Ses influences à cette époque proviennent des grands photojournalistes que le magazine américain LIFE publie toutes les semaines. En 1959, il est engagé comme photographe sportif par le Studio David Bier pour couvrir les parties de hockey. Il est témoin des exploits inoubliables de Maurice Richard sur la glace du Forum. En 1961, il rentre comme pigiste à La Presse. Toujours prêt à explorer de nouvelles avenues, il accepte de faire de la photographie couleur pour le Magazine La Presse. On l’engagera ensuite comme photographe de presse jusqu’en 1974.

Desilets est élu président de l’Association des photographes de presse de Montréal en 1966 et décide alors de participer pour la première fois au prestigieux concours de la National Press Photographers Association (NPPA). Au cours de sa carrière, il reçoit au moins 70 prix liés à son travail, devient le premier québécois à recevoir une mention spéciale du World Press Photo en 1967 et il est élu à répétition « photographe de l’année » par la NPPA. Sa réputation américaine était telle qu’on lui offre la charge du département de photographie de l’Université Cornell dans l’état de New York, un établissement de la Ivy League. Comme il ne veut pas quitter le Québec, il refuse.

Une autre figure de la photographie mondialement reconnue, auteur du livre « Images à la sauvette » et du concept de l’instant décisif en photographie est Henri Cartier-Bresson. Ce dernier est couplé à Desilets dans une exposition conjointe, organisée au pavillon de la France à Terre des Hommes en 1968. Une autre belle reconnaissance pour Desilets.

En 1969, le livre Apprenez la photographie avec Antoine Desilets popularise la photographie au Québec, mais aussi dans d’autres pays francophones. L’influence d’Antoine Desilets est majeure : ses livres pratiques se vendent à des centaines de milliers d’exemplaires et sont traduits dans plusieurs langues. En 1971, l’UNICEF publie une de ses photographies sur une carte tirée à 12 millions d’exemplaires. C’est aussi en 1971 que Desilets crée Des images plus, une banque d’images de 50 000 de ses photographies.

Après son départ de La Presse, il travaille pour le journal indépendantiste Le Jour de 1974 à 1976. Il y est photographe, mais aussi chroniqueur sur la photographie. À la fermeture du journal et afin d’aider un de ses fils sur sa ferme, il tente de couper un silo en deux et il fait une chute de huit mètres. Il se retrouve alors à l’hôpital avec trois vertèbres écrasées. Le docteur prédit la fin de sa carrière de photographe, mais c’est mal connaître Desilets. Entre-temps, on lui propose de mettre sur pied un département de photojournalisme à l’Université de Dakar, au Sénégal. C’est ainsi que trois mois plus tard, il monte à bord d’un avion en direction de l’Afrique avec un corset dorsal. Il y sera de 1976 à 1978 à temps plein, puis à temps partiel jusqu’en 1983.

Parmi les livres qu’il a publiés (plus d’une douzaine), Découvrez le monde merveilleux de la photographie a reçu le premier prix du Musée de la photographie de la Ville de Paris en 1982. En 1990, le Gouvernement du Québec lui décerne l’Ordre national du Québec à titre de chevalier.

La Corporation lavalloise pour l’avancement de la photographie, sous la supervision du professeur Michel Lessard et de l’historien de la photographie Raymond Idoux, présente une rétrospective de Desilets en 1998 à la Maison des arts de Laval. Il y en aura une autre en 2006 au Musée populaire de la photographie à Drummondville. C’est aussi en 2006 qu’il est nommé Personnalité photographique québécoise et canadienne par le magazine Photo-Sélection.

Une publication anthologique soulignant trente ans d’images est publiée par son fils, Luc Desilets, en 2011. On comprend en regardant les photographies de ce livre que, pour Antoine Desilets, la photographie a toujours été une passion : son appareil photographique ne le quittait jamais. L’histoire nationale du Québec est parsemée des photographies de Desilets.

Depuis 2005, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) décerne annuellement des prix Antoine-Desilets en photographie, un nom qui résonne toujours comme une solide référence à l’esprit des photographes d’ici et d’ailleurs.

Le Jour est arrivé

Certes brillamment cadrées, ces trois figures emblématiques du Québec dans un moment du quotidien, cheveux au vent, habits de tous les jours, affichent une complicité remarquable. Cette photo promotionnelle pour le journal Le Jour est très réussie. Ici, le journal est en vedette. Il est d’ailleurs au centre de la photo. L’œil y revient constamment. Les trois vedettes agissent comme une flèche vers le journal et si le regard va plus bas, le genou de Deschamps agit comme un bloqueur et nous ramène vers le centre. L’utilisation d’un très grand angle, probablement la Nikkor 21 mm, la lentille préférée de Desilets, donne une composition très forte et structurée. L’angle de vue apporte énormément de relief aux volumes et une impression de proximité avec les sujets.

Principales collections

Près de 200 000 documents photographiques de Desilets sont maintenant aux Archives nationales du Québec, tandis que la majorité des photographies de sa banque d’images Des images plus sont au Musée de la photographie Desjardins à Drummondville.

 

Robert Hébert

Bibliographie

Desilets, A. (1969). Apprenez la photographie, Montréal. Les Éditions de l’Homme.

Desilets, A. (1971). La technique de la photo. Les Éditions de l’Homme.

Desilets, A. et Weber, R. (1972). Je prends des photos. Les Éditions de l’Homme.

Desilets, A. (1972). Les insolences d’Antoine. Les Éditions de l’Homme.

Desilets, A. (1973). Je développe mes photos. Tous les secrets de la chambre noire. Les Éditions de l’Homme.

Desilets, A. (1975) Photo-Guide. Les éditions de l’Homme.

Desilets, A., Coiteux, L.-P. et Gariépy, C.-M. (1978). La photo de A à Z. Les Éditions de l’Homme.

Desilets, A. (1979). La photo à la portée de tous. Les Éditions de l’Homme.

Desilets, A. (Éd.) (1980). Découvrez le monde merveilleux de la photographie. Les Éditions de l’Homme.

Desilets, A. et Taillefer, P. (1981). Le guide des accessoires et appareils photos. Les Éditions de l’Homme.

Desilets, A. (1986). Le Guide photo. Les Éditions La Presse.

Desilets, L. (2011). Antoine Desilets photographe, trente ans d’images. Guy Saint-Jean Éditeur.

Desilets, L. (2017). Expo 67. 50 ans, 50 souvenirs marquants et autres secrets bien gardés. Guy Saint-Jean Éditeur.

Nadeau, J.-F. (2019, 20 décembre). Le père du photojournalisme au Québec s’est éteint. Le Devoir.

Scully, R. G. et Desilets, A. (1978). Morceaux du grand Montréal. Les Éditions du Noroît.