Claire Beaugrand-Champagne, photographe de « l’ordinaire »

La rencontre entre Claire Beaugrand-Champagne et la photographie est somme toute classique : adolescente, la jeune femme reçoit en cadeau son premier appareil photo accompagné d’un ensemble de matériel de laboratoire argentique. Elle commence par photographier sa famille, ses voisins, et les personnes qu’elle côtoie. Déjà, à l’esthétique des paysages, elle préfère saisir la beauté des êtres humains. Elle développe elle-même ses négatifs, puis réalise ses tirages. À sa connaissance de la chambre noire va s’ajouter l’art de la retouche, qu’elle apprend à maitriser lors de cours du soir à Londres, en Angleterre, où elle séjourne comme jeune fille au pair.

À son retour à Montréal, elle s’inscrit au programme de photographie du Cégep du Vieux Montréal. Ses rencontres avec son professeur Gabor Szilasi, déjà reconnu pour sa pratique documentaire, et les collègues de ce dernier, Roger Charbonneau, Pierre Gaudard et Michel Campeau, vont être déterminantes pour la photographe en devenir. Ils formeront ensemble le Groupe d’Action Photographique, engagé dans une perspective sociale de la photographie. Également proche de l’équipe éditoriale du magazine OVO, Claire Beaugrand-Champagne s’oriente vers une approche de la photographie documentaire qui se concrétisera en 1972, avec le projet collectif Disraeli

En 1975, elle rejoint le journal Le Jour, au sein d’une profession pour le moins dominée par les hommes : photographe de presse. Accompagnée de son appareil Leica, elle s’installe néanmoins sans trop de difficultés auprès de ses collègues masculins. Elle est alors considérée comme une des premières femmes photographes dans le milieu de la presse québécoise. Après cette première expérience, elle entreprend, en 1980, un reportage sur les camps de réfugié.e.s d’origine vietnamienne et indochinoise en Thaïlande et en Malaisie. En binôme avec sa sœur, la journaliste Paule Beaugrand-Champagne, elle se joint au voyage du ministre de l’Emploi et de l’Immigration et documente pendant deux mois la réalité de ceux et celles qui ont fui leur pays en guerre et les nouveaux régimes communistes. À son retour, ses images font l’objet de plusieurs articles publiés dans le quotidien La Presse. Elle décide ensuite de prolonger son reportage en suivant deux familles rencontrées sur place, dans leur processus d’immigration au Québec. Les séries Les camps de réfugiés et Thien et Hung démontrent que la photographe s’inscrit dans une démarche documentaire au long cours dont les projets permettent le temps de la rencontre et de la relation. Peu à peu, elle choisit de s’éloigner du photojournalisme pour privilégier la forme du portrait et se concentrer sur des sujets locaux, tout en collaborant avec des organismes et des magazines québécois comme la Gazette des femmes, ou encore le magazine humoristique CROC

Entre 1970 et 1980, la photographie documentaire au Québec et au Canada commence à gagner en visibilité et en reconnaissance dans les milieux artistiques, notamment par le biais des musées qui développent leur collection de photographies, et les institutions qui soutiennent les projets documentaires en octroyant des bourses aux artistes. C’est grâce à ces aides financières que la photographe a pu réaliser la plupart de ses séries photographiques, dont Les personnes âgées (1973-1975), Des gens de mon quartier (2002-2003) puis Les gens de Montréal (depuis 2006)

Les comédiens du 3e âge, C’t’à ton tour Laura Cadieux, Montréal (1978) est une photographie issue de son travail sur la condition des personnes aînées. L’image frontale représente bien les cadrages régulièrement pratiqués par la photographe. On comprend qu’il y a une célébration, on suppose une salle de spectacle et la fin d’une représentation – le bouquet dans les mains de la dame semble corroborer cette idée. Le baiser fougueux que celle-ci donne à son partenaire qui le lui rend, suggère un succès. Jouent-ils le jeu des modèles qui prennent la posent ou est-ce la spontanéité de la prise de vue ? Peu importe. Ce baiser, saisi sans aucun doute dans un instant de joie et de festivités, donne à voir l’amour et la complicité, accessibles à tout âge et loin d’être l’apanage de la jeunesse. Le regard de la dame à droite, tout comme la lumière qui se pose sur le couple, semble complice du moment. L’arrière-plan plus sombre gomme les personnages et les éclairages parasites pour que l’on puisse se concentrer sur les deux protagonistes. La position de leurs têtes forme le haut d’un cœur dans un yin et un yang inversés, le principe féminin étant ici symbolisé par le blanc de la robe et le principe masculin par le noir de la veste. Véritable ode à l’amour et aux personnes ainées, cette photographie emblématique du travail de Claire Beaugrand-Champagne montre comment la photographe a contribué à saisir les visages de la société québécoise, faisant fi des hiérarchies sociales pour mieux raconter les communautés souvent laissées pour compte.

Principales collections

  • Musée national des beaux-arts du Québec
  • Musée d’art contemporain de Montréal
  • Musée McCord Stewart
  • Musée des beaux-arts de Montréal
  • Musée des beaux-arts du Canada
  • Bibliothèque et Archives Canada

 

Sophie Bertrand

Bibliographie

Site Web de l’artiste.

Beaugrand-Champagne, C. (2016). Émouvantes vérités. Éditions de l’Homme. 

Marchand, Sandra Grant (1982). Esthétiques actuelles de la photographie au Québec : Onze photographes. Musée d’art contemporain.