Michel Campeau : lumière sur l’espace privé du photographe

Michel Campeau (1948-), Autoportrait à la table lumineuse, atelier, 1984 (haut); Album de famille, 195_, « L’enfance me court après », 1988 (bas), de la série Les Tremblements du cœur, prologue 1/3, 1988, Épreuve à la gélatine argentique, 50,5 x 40,3 cm, Collection du Musée national des beaux-arts du Québec, Don de Jacques Toupin (2019.1107), © Michel Campeau / CARCC Ottawa, Photo : MNBAQ.
Aborder la production photographique de Michel Campeau, c’est accéder à un riche laboratoire de création qui a pris forme dès le début des années 1970. Au cours des décennies qui ont suivi, son travail s’est sans cesse réinventé, obtenant une reconnaissance enviable et influente sur la scène photographique contemporaine. Ses œuvres ont circulé dans des institutions majeures au Canada et en Europe et ont fait l’objet de nombreux ouvrages critiques et monographiques. Le réputé magazine new-yorkais Aperture lui a réservé sa couverture en 2007 pour une image de la série Darkrooms, signe de la renommée internationale du photographe et de son important travail en chambre noire.
L’œuvre de Michel Campeau est indissociable de sa vie psychique et affective. Chaque période de création en porte les marques, que ce soit dans ses premières captations de nature documentaire, dans son approche autobiographique et celle plus près de l’autofiction, ou dans son abondante collection de photographies amateur. Le fil conducteur de ce vaste programme réside précisément dans la posture introspective et cérébrale du photographe, posture qui le guide vers des réflexions sur l’existence, de même que sur le sens de la création et de l’acte photographique lui-même.
Or, cette quête de soi s’est toujours nourrie de son ouverture à l’autre. Les projets documentaires des années 1970 témoignent de son intérêt pour l’ordinaire et le quotidien des gens, pour l’individu dans la communauté, pour les réalités et rituels sociaux. Sa relation au monde s’incarnera aussi dans les images de toutes provenances cumulées au fil de sa trajectoire. Archives familiales ou sociales, territoires naturels, tragédies humaines, histoires de la photographie, chambres noires captées dans différents pays et collection d’images anonymes composent l’iconographie atypique de cet artiste. À cela s’ajoutent les prises de position et l’écriture, qui singularisent sa démarche.
L’œuvre reproduite ici, de la série Les tremblements du cœur (1988), est une sorte de condensé du langage photographique de Michel Campeau. Sous forme de montage, deux images au format distinct – autoportrait pour l’une, photo d’archive pour l’autre – sont tirées de la même série et juxtaposées pour ne former qu’une seule œuvre. Sur une même surface sensible, le passé et le présent de l’artiste prennent ainsi contact. Dans la section du haut, le photographe nous invite littéralement dans son laboratoire de travail. Un lieu clos, privé et secret, où ce qui s’effectue en silence est presque de l’ordre du rituel. Comme l’artisan entouré de ses outils, tous les accessoires du photographe entrent ici dans le cadre serré de l’image : une table lumineuse où sont étalées des diapositives, des gants blancs pour une manipulation soignée, de menues photos épinglées sur le mur arrière.
Pour seule lumière dans cette pièce sombre, la brillance de la table qui rebondit sur le visage du personnage assis, sur sa chemise et ses gants blancs et, de manière plus tamisée, sur le mur arrière. L’atmosphère est celle d’un lieu de productivité qui exige concentration et endurance, ce qui pourrait expliquer l’état de fatigue que suggèrent les yeux fermés du photographe ainsi que la position de sa main droite. Mais peut-être que celui-ci est plutôt dans un état de méditation, dans ses pensées et ses souvenirs.
À cet effet, le cliché de petite taille dans la section du bas peut fournir quelques indices. Cadré sur un fond noir rappelant la forme d’une diapositive, le cliché semble extirpé de la table lumineuse du haut, mettant cette fois en lumière et au présent un élément prélevé de son album de famille. La similitude entre les motifs des deux scènes est frappante : présence du photographe dans l’une et dans l’autre (jeune et plus âgé), tables où sont déposés des objets de leur propre sphère affective, photos sur leur mur respectif. Plus encore, la phrase « L’enfance me court après », imprimée dans la matière photographique au bas de l’œuvre, fait basculer les deux époques dans le même espace-temps et dans un même fil narratif. Pareillement, les yeux baissés du photographe pensif tenteraient de remonter et de maintenir à la surface les marques indélébiles de son enfance.
Le rapport à l’enfance, la sienne ou celle de sa propre famille, a longtemps tenu une position prédominante dans la production de Michel Campeau. L’œuvre ici représentée en est un exemple éloquent. En toile de fond, l’expression des conditions de production de l’image à travers les outils du photographe contribue à son tour à souligner la puissance émotive et les tremblements de cette œuvre emblématique.
Principales collections
- Art Gallery of Nova Scotia
- Cinémathèque québécoise
- Musée d’art contemporain de Montréal
- Musée des beaux-arts de Montréal
- Musée des beaux-arts du Canada
- Musée national des beaux-arts du Québec
- The Winnipeg Art Gallery
Bibliographie
Campeau, M. et Baillargeon, R. (1988). Michel Campeau. Les tremblements du cœur. Saint-Martin / VU.
Campeau, M., Arrouye, J. et Wood, E. (1993). Éclipses et Labyrinthes. Michel Campeau. Séquence.
Campeau, M., Tisseron, S. et Asselin, O. (2013). Michel Campeau. Photogénie et obsolescence de la chambre noire argentique. Kehrer Verlag.
Campeau, M. (1997). …si je mens, j’irai en enfer! Les 400 coups.
Dessureault, P. (1997). Michel Campeau. Les images volubiles – Travaux photographique, 1971-1996. Musée canadien de la photographie contemporaine.
Campeau, M. et Baillargeon, R. (1988). Michel Campeau. Les tremblements du cœur. Saint-Martin / VU.
Campeau, M., Arrouye, J. et Wood, E. (1993). Éclipses et Labyrinthes. Michel Campeau. Séquence.
Campeau, M., Tisseron, S. et Asselin, O. (2013). Michel Campeau. Photogénie et obsolescence de la chambre noire argentique. Kehrer Verlag.
Campeau, M. (1997). …si je mens, j’irai en enfer! Les 400 coups.
Dessureault, P. (1997). Michel Campeau. Les images volubiles – Travaux photographique, 1971-1996. Musée canadien de la photographie contemporaine.