JJ Levine : portraits de famille

JJ Levine (1983-), Harry Pregnant 2015, 2015, Épreuve à développement chromogène avec impression manuelle, 1/3, 97,5 x 123,3 cm, Collection du Musée national des beaux-arts du Québec, Achat (2021.89), © JJ Levine, Photo : MNBAQ.
Si la carte de visite, popularisée par Eugène Disderi en 1854, a permis la construction de l’identité sociale, et ce, dans des mises en scène des plus sobres aux plus excentriques, le portrait photographique a aussi soutenu l’affirmation de l’identité sexuelle et de genre, notamment dans la communauté LGBTQIA+. On recense d’ailleurs la première photographie d’hommes se travestissant dès 1869 (Fanny and Stella, de Frederick Spalding). Depuis, plusieurs photographes ont utilisé ce moyen pour explorer ou documenter la diversité sexuelle ou de genre. Dans les années 1930, Claude Cahun (née Lucy Schwob) se considère comme genre neutre et réalise de nombreux autoportraits. Pierre Molinier explore, dans les années 1950, le travestissement et l’érotisme à travers des autoportraits et des photomontages singuliers. Les images des photographes Diane Arbus et Nan Goldin réalisées entre les années 1960 et 1980 documentent, entre autres, le mode de vie queer et rapportent des images exceptionnelles des communautés homosexuelles et des drag queens. D’autres photographes comme Robert Mapplethorpe ou Evergon proposent, quant à eux, un dialogue direct avec la pornographie et l’érotisme homosexuel. Ces artistes ont tous participé, à leur façon, à déconstruire les codes hétéronormatifs en proposant des voies alternatives d’expression de soi pour ces communautés invisibilisées ou marginalisée.
Le travail photographique de JJ Levine s’inscrit dans cette tradition et plus largement dans la mouvance de la pensée queer qui émerge aux États-Unis dans les années 1990, toujours très actuelle. Né en 1983 à Montréal, c’est à l’âge de huit ans que Levine s’initie à la photographie. Plusieurs membres de sa famille s’affirmant comme queer deviendront ses premiers sujets photographiques.
C’est au cours de ses études à l’Université Concordia en photographie qu’il approfondira sa réflexion critique sur les notions d’identité de genre et de normativité sociale. Il poursuit, en quelque sorte, sa série entamée durant son enfance, qu’il intitule Queer portraits. Levine réalise des portraits des membres de sa famille biologique, mais aussi ceux de sa famille affinitaire (les amis), celle-ci étant, selon lui, tout aussi importante, sinon plus, que la première. La série traite de l’identité, de la problématique du genre, de la frontière entre la vie privée et la vie publique et du mode de vie queer. Toujours en cours, ce projet permet de voir l’évolution de ces mêmes personnes dans le temps. Il amorce par la suite deux autres séries de portraits : Alone Time qui explore l’authenticité de l’image photographique en mettant en scène des couples hétérosexuels – joués par la même personne – dans l’espace domestique et Switch, qui exploite les constructions hétérosexuelles de l’identité en mimant les codes performatifs masculins et féminins.
Cette photographie grand format fait partie de la série Queer Portrait. Il s’agit du portrait de Harry, l’ex-compagnon de JJ Levine avec qui il partage aujourd’hui la garde de leur enfant. Employant les codes du portrait classique, Levine centre son sujet et opte pour un point de vue frontal. Le regard de Harry est dirigé vers le photographe. Son corps est droit et fier. Il est assis sur un fauteuil bleu-turquoise installé dans le salon d’un appartement. Des plantes et des objets décoratifs distribués de chaque côté du sujet ainsi qu’une fenêtre sur laquelle des rideaux de dentelle sont refermés, complètent ce décor intimiste, soigneusement orchestré par le photographe. Harry ne porte qu’un short, laissant voir son torse nu et les cicatrices d’une mastectomie récente. Il pose une main sur sa jambe et l’autre sur son ventre arrondi. C’est en lisant le titre de l’image que nous comprenons mieux : à travers sa transition de genre, Harry a conservé ses organes reproducteurs. Il donnera bientôt naissance à l’enfant du couple. De cette image émergent de nombreux questionnements; elle pourrait même choquer. Conscient de la portée sociale d’une photographie qui déconstruit frontalement les rôles sexuels et parentaux et les stéréotypes familiaux, Levine fait preuve de beaucoup de sensibilité pour éviter de contribuer à une certaine culture médiatique sensationnaliste, mais aussi par respect pour son sujet.
On comprend par cette image, et par l’ensemble de son travail que JJ Levine cherche à la fois à normaliser les identités queers, à rendre visibles les membres de sa famille et de sa communauté, à montrer d’autres exemples de coparentalité, et surtout, à présenter de belles images des gens qu’il aime.
Petit lexique sur l’identité de genre.
- LGBTQIA2S+ : Abréviation signifiant Lesbienne, Gai·e, Bisexuel·le, Trans et transgenre, Queer ou en Questionnement, Intersexe, Asexuel·le, Personne aux deux esprits et plus encore. Les abréviations LGBT, LGBTQ+, LGBTQIA+, LGBTI2PAQQ sont aussi utilisées.
- Transgenre / transidentité : Le terme transgenre, souvent dit trans, est un terme générique qui désigne les personnes dont le genre ne correspond pas au sexe qui leur a été assigné à la naissance.
- Queer : Personne qui ne se définit pas par les catégories traditionnelles de genre et d’orientation sexuelle.
Principales collections
L’artiste est représenté par la galerie ELLEPHANT. Des œuvres de l’artiste se trouvent dans la collection du Musée national des beaux-arts du Québec.
Bibliographie
Clément, É. (2022, 17 février). JJ Levine au McCord. Portrait de famille queer. La Presse.
ELLEPHANT (s. d.). JJ Levine.
JJ Levine (2024, 15 décembre). Dans Wikipédia.
McLeod, D. (2011). JJ Levine : déjouer la matrice hétéronormative/Queering the Heteronormative Matrix / JJ Levine, série/series Queer Portraits, 2006-2010/JJ Levine, série/series Switch, 2009 / JJ Levine, série/series Alone Time, 2007-2009. Ciel variable, (88), 12–21.
Musée McCord (s. d.). JJ Levine. Photographies queer.
Underwood, K. (2023). Chosen Family : JJ Levines’s « Queer Portraits » series. Maclean’s.
Voir également
Jourdain, V. Site Web de l’artiste.
Philomène, L. Site Web de l’artiste.
Clément, É. (2022, 17 février). JJ Levine au McCord. Portrait de famille queer. La Presse.
ELLEPHANT (s. d.). JJ Levine.
JJ Levine (2024, 15 décembre). Dans Wikipédia.
McLeod, D. (2011). JJ Levine : déjouer la matrice hétéronormative/Queering the Heteronormative Matrix / JJ Levine, série/series Queer Portraits, 2006-2010/JJ Levine, série/series Switch, 2009 / JJ Levine, série/series Alone Time, 2007-2009. Ciel variable, (88), 12–21.
Musée McCord (s. d.). JJ Levine. Photographies queer.
Underwood, K. (2023). Chosen Family : JJ Levines’s « Queer Portraits » series. Maclean’s.
Voir également
Jourdain, V. Site Web de l’artiste.
Philomène, L. Site Web de l’artiste.