Inventer le réel : William Notman et la photographie composite

Henry Sandham (1842-1910) et Edward Sharpe (1850-1871), studio William Notman (1863-1877), Carnaval de patinage, patinoire Victoria, Montréal, Québec, 1870, Halogénures d’argent et peinture à l’huile sur toile montée dans un cadre, Procédé à l’albumine, 137 x 176 cm, N-0000.116.21.1, Musée McCord Stewart.
Montréal, hiver 1870, la métropole canadienne vibre au rythme de la visite d’Arthur, fils la reine Victoria, dont le régiment a été posté dans la colonie. Pour souligner la visite princière, un carnaval est organisé. Déguisée et en patins, la bonne société a ainsi l’occasion de s’exhiber auprès de son altesse. Flairant la bonne affaire, le photographe et ambitieux entrepreneur William Notman décide de créer une image qui illustre la scène : Carnaval de patinage, patinoire Victoria. On peut y reconnaître parmi les déguisements une « femme nouvelle » (moderne, car elle fume la cigarette) ainsi qu’une figure stéréotypée des peuples autochtones, avec son arc et ses flèches. Cette photographie représente l’idée de la célébration plutôt que le carnaval du 1er mars 1870 lui-même. En effet, elle a été créée à partir de 300 photographies.
Pour produire ces épreuves, Notman et le personnel de son studio prennent des portraits individuels ou de petits groupes. Dans quelques journaux publiés à la fin février, dont The Gazette et le Daily Witness du vendredi 25 février, il invite les convives de la mascarade à venir prendre la pose en costume. Ces personnes appartiennent aux échelons supérieurs de la société. Notman est reconnu pour ses portraits de cette classe sociale. Il est possible de supposer qu’il voit dans la création de Carnaval de patinage, patinoire Victoria un moyen d’augmenter sa réputation déjà bien établie et une occasion d’accroître son marché, en incitant une nouvelle clientèle à découvrir son studio. De plus, il faut souligner que chacun des portraits offre aussi un potentiel de vente.
Pour fabriquer Carnaval de patinage, patinoire Victoria, les épreuves sont découpées et collées sur un négatif composite. Elles sont assemblées en fonction d’une composition déjà déterminée, une ébauche préparatoire. Une fois terminé, le négatif composite est imprimé sur du papier cartonné, ce qui permet de commercialiser la photographie dans plusieurs formats. Une version plus prestigieuse est peinte à l’huile par le service artistique du studio. Cette photographie peinte est en couleur alors que les négatifs sur verre de l’époque permettent seulement d’obtenir des tons de gris, soit de la photographie en noir et blanc.
Créée de toute pièce, Carnaval de patinage, patinoire Victoria est une réussite technique. Selon la perception de l’époque, c’est aussi un objet esthétique digne d’attention, car les éléments importants y sont représentés en détail. Il est intéressant de noter que, si Carnaval de patinage, patinoire Victoria avait été prise lors de l’événement, il aurait été impossible d’en faire une image aussi nette. La technologie de l’époque capte difficilement le mouvement. Les figures qui se déplacent sont le plus souvent floues ou fantomatiques. Pour Notman et son public, la photographie composite offre de surcroît l’avantage d’organiser l’espace. Les personnes dignes d’attention sont à l’avant-plan, les premières que notre œil rencontre. Une légende numérotée qui permet d’identifier chaque personne déguisée est d’ailleurs fournie avec certains formats. De plus, le nom des personnes qui ont pris part au Carnaval sont connus. Les journaux publient, le lendemain de l’événement, des listes des convives et de leur déguisement. Contrastant avec ces figures reconnaissables, les figurants au fond de la scène et le décor opulent sont brouillés. Ils servent à animer la scène et à lui donner de la profondeur.
Carnaval de patinage, patinoire Victoria est l’une des images les plus complexes de Notman. Considéré comme l’inventeur de la photographie composite, Notman est un innovateur. Il expérimente avec le flash au magnésium et on lui doit une technique qui permet de créer de faire tomber de la neige en studio. Notman est d’origine écossaise. Il immigre à Montréal en 1856 et, quelques mois après son arrivée, il se lance en photographie. Au moment où Carnaval de patinage, patinoire Victoria est conçue, son studio montréalais compte plus de 35 personnes à des postes tels que photographes, artistes, assistants de studio, réceptionnistes, adjoints à la salle d’habillage ou apprentis. Des femmes de la classe moyenne, chargées de monter et de retoucher les photographies, ainsi que des artistes professionnels travaillent au service artistique qui voit entre autres à la réalisation des photographies composites. Notman ouvre plusieurs antennes de son studio montréalais avec différents associés. À son apogée, le studio comprend vingt branches, dont certaines aux États-Unis. En 1870, l’année qui nous occupe, celles d’Ottawa, Toronto et Halifax ont déjà pignon sur rue. En plus de produire de nombreux portraits, le studio de Notman participe, par ses paysages, à la formation de l’image du Canada. À la mort de William Notman, c’est son fils, William McFarlane Notman qui lui succède. Le studio ferme définitivement ses portes en 1915.
En 2025, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) a inscrit les Archives photographiques Notman au Registre international de la Mémoire du monde.
Principales collections
L’essentiel du fonds Notman (plus de 400 000 images) est conservé au Musée McCord Stewart, mais plusieurs institutions au Canada et à travers le monde possèdent également des œuvres du studio. Un bon point de départ pour la recherche de ces photos est la base de données Artefacts Canada.
Bibliographie
Harper, J. R. et Triggs, S. (1967). Portrait of a period a collection of Notman photographs : 1856 to 1915. McGill University Press.
Parsons, S. (2014). William Notman : sa vie et son œuvre, Institut de l’art canadien.
Samson, H. et Sauvage, S. (dir.). (2016). Notman : photographe visionnaire. Hazan.
Triggs, S. (1985). William Notman. L’empreinte d’un studio. Musée des beaux-arts de l’Ontario/Coach House Press.
Harper, J. R. et Triggs, S. (1967). Portrait of a period a collection of Notman photographs : 1856 to 1915. McGill University Press.
Parsons, S. (2014). William Notman : sa vie et son œuvre, Institut de l’art canadien.
Samson, H. et Sauvage, S. (dir.). (2016). Notman : photographe visionnaire. Hazan.
Triggs, S. (1985). William Notman. L’empreinte d’un studio. Musée des beaux-arts de l’Ontario/Coach House Press.