Frederick Simpson Coburn et la pivoine laurentienne

Frederick Simpson Coburn (1871-1960), Carlotta dansant, 1938, Épreuve à la gélatine argentique, 25,3 x 20,3 cm, Collection du Musée national des beaux-arts du Québec, Achat (1995.247), Photo : MNBAQ.
Dans les années suivant l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, tenue à Paris en 1925, et la sortie concomitante des premiers appareils portatifs et polyvalents comme le Leica, la photographie pictorialiste perd en popularité. Elle est supplantée par une esthétique nouvelle : netteté des objectifs et rapidité des films, sans ajout d’effets picturaux particuliers au moment du tirage ni d’emprunts aux autres arts graphiques comme la gravure ou le dessin.
On assiste alors à un engouement important au plan international pour une photographie qui se réclame d’étiquettes telles que « photographie pure » (« straight photography ») ou « nouvelle vision ». Dans les médias de masse tout comme dans bon nombre de périodiques illustrés de photogravures dédiés à la photographie, l’accent est mis plus spécialement sur le sujet et la manière de le capter par des angles de prise de vue novateurs. Les photographes misent sur la nouveauté grâce à des effets perspectifs accentués pour montrer les forces et souplesses expressives du média.
Frederick Simpson Coburn (1871-1960) est un cas particulier de cette tendance au Québec. Ce peintre et illustrateur canadien originaire de Melbourne en Estrie étudie à Montréal, Berlin, Paris et Londres, avant de s’installer à Anvers, en Belgique, où il loue un atelier jusqu’en 1914. L’artiste acquiert une solide réputation en illustrant les recueils de poésie de William Henry Drummond, Louis-Honoré Fréchette et d’autres auteurs réputés de son époque. De retour juste avant l’éclatement de la Première Guerre mondiale, il redécouvre l’éblouissante luminosité des hivers canadiens, qui deviendront son sujet de prédilection. Ses tableaux de scènes hivernales rurales, avec chevaux et traîneaux émergeant de la forêt vers une clairière enneigée et lumineuse, feront la renommée de celui qui est aussi Membre de l’Académie Royale canadienne et récipiendaire de prix prestigieux.
Le travail photographique de Coburn a été redécouvert lorsque certaines de ses œuvres furent acquises par le Musée du Québec (actuel Musée national des beaux-arts du Québec) au début des années 1990. Ce corpus, ainsi qu’un don plus récent au Musée de la civilisation, composent maintenant l’essentiel de son œuvre photographique connue. De ces images, on retient plus spécialement les séances réalisées avec celle qui fut son modèle dès 1933, la danseuse professionnelle Marguerite Charlotte Lavoie, mieux connue sous le pseudonyme de Carlotta.
L’artiste avait aménagé une plateforme sur le haut d’une colline avoisinant sa résidence des Cantons-de-l’Est, avec l’aide du photographe George Nakash, oncle du non moins célèbre Yousuf Karsh. Munie de divers costumes et dans un environnement naturel, Carlotta s’élance avec grâce contre les ciels nuageux qui lui servent de toile de fond[01]. Sitôt qu’on oublie le dispositif au sol, les images nous montrent des figures aériennes qui semblent aussi lumineuses que les peintures hivernales de Coburn, mais qui transpirent la douceur du climat estival. Dans plusieurs de celles-ci, Carlotta porte une robe faite de tulle léger. Munie de ses souliers de ballerine, elle exécute des pointes et figures classiques.
La composition accidentelle de la robe de Carlotta évoque une pivoine balayée par le vent[02]. Le riche rendu des textures nous permet de ressentir le froissement du tissu agité par le mouvement, et l’asymétrie augmente le dynamisme de la représentation. Carlotta, dans un vivant éclat de rire, semble flotter dans les airs comme portée par un souffle à la fois magique et habité par la nature. À cette époque, les périodiques illustrés de photographies abondent, et il convient de se demander si Coburn y aurait puisé son inspiration florale. Dans l’édition de 1937-1938 de la revue photographique à succès Lilliput Pocket Omnibus, la désormais célèbre double page « Our Lily / Arum Lily », adjoint poétiquement l’image d’une danseuse effectuant un renversement à celle d’un lys calla. Les deux formes résultantes sont presque identiques et on peut se demander si l’art imite la nature, ou le contraire. Cette équivalence photographique est également en continuité avec l’œuvre influente de l’allemand Karl Blossfeldt, Urformen der Kunst (Formes naturelles de l’art, 1928) qui traque dans l’apparence des végétaux des prototypes de motifs artistiques, contribuant au débat sur les origines de l’art en proposant une hypothèse naturaliste.
Principales collections
- Musée national des beaux-arts du Québec
- Musée de la Civilisation
- Musée des beaux-arts de Sherbrooke
01 On pourra se rapporter au travail de Maurice Perron et de Françoise Sullivan, Danse dans la neige, pour trouver une mise en scène comparable.
02 Voir aussi « Le papillon et pivoines », série dite des « Grandes Fleurs » de Katsushika Hokusaï.
Bibliographie
Bouchard, L. (2015), Carlotta sous les projecteurs. Continuité, 143, 9-12.
Lorant, S. (dir.) Lilliput Pocket Omnibus 1937/38. Pocket Publications.
Préfontaine, F. (1926, 24 avril). À propos d’une exposition de photographies. La Patrie, 31
Bouchard, L. (2015), Carlotta sous les projecteurs. Continuité, 143, 9-12.
Lorant, S. (dir.) Lilliput Pocket Omnibus 1937/38. Pocket Publications.
Préfontaine, F. (1926, 24 avril). À propos d’une exposition de photographies. La Patrie, 31