Caroline Hayeur : une pratique hybride au service de la photographie documentaire

Caroline Hayeur (1968-), Rituel festif : Portrait de la scène rave à Montréal, 1997, Commissaire : Emmanuel Galland, Photographie argentique, négatif couleur format 120 (Bronica 6 x 4,5), Diapositive développée dans de la chimie pour film négatif (traitement croisé), 100 cm x 200 cm (39,5 x 78,5 po), Montréal (Québec), © Caroline Hayeur, tous droits réservés. Collection FNAC, France.

Caroline Hayeur (1968-), Rituel festif : Portrait de la scène rave à Montréal, 1997, Commissaire : Emmanuel Galland, Photographie argentique, négatif couleur format 120 (Bronica 6 x 4,5), Diapositive développée dans de la chimie pour film négatif (traitement croisé), 30 x 40 cm (12 x 15,5 po), Montréal (Québec), © Caroline Hayeur, tous droits réservés.

Caroline Hayeur (1968-), Rituel festif : Portrait de la scène rave à Montréal, 1997, Commissaire : Emmanuel Galland, Photographie argentique, négatif couleur format 120 (Bronica 6 x 4,5), Diapositive développée dans de la chimie pour film négatif (traitement croisé), 100 cm x 200 cm (39,5 x 78,5 po), Montréal (Québec), © Caroline Hayeur, tous droits réservés.
Après avoir obtenu son diplôme d’études en photographie du Cégep du Vieux Montréal en 1990, Caroline Hayeur assiste le photographe Gilbert Duclos jusqu’en 1999. Rapidement, elle s’inscrit dans la lignée des photographes documentaire au Québec, notamment en publiant les images de son road trip aux États-Unis dans le journal Voir entre 1992 et 1993. Inspirée par les correspondances new-yorkaises du photographe français Raymond Depardon[01] parues dans le quotidien français Libération, Caroline Hayeur propose un carnet de voyage avec des images noir et blanc qu’elle développe et tire elle-même sur la route, dans sa camionnette aménagée en laboratoire.
De retour à Montréal et forte de cette expérience, la photographe se voit offrir l’opportunité de réaliser un stage de photojournaliste au journal La Presse où elle couvre différents évènements locaux. C’est durant le Festival de Jazz de Montréal qu’elle rencontre Jean-François Leblanc, cofondateur de l’Agence Stock Photo, dont les photographes naviguent entre écriture documentaire et photographie de presse. Sur invitation de ce dernier, elle devient membre de Stock en 1994, et l’une des premières femmes à rejoindre l’agence. Elle entame dès lors des collaborations régulières avec la presse nationale (L’actualité, La Gazette des femmes, Québec science, etc.) et européenne (L’Express, Le Monde, Le Point).
Très rapidement, Caroline Hayeur se distingue avec une pratique hybride, alternant commandes (évènementielles, institutionnelles ou pour des magazines) et séries liées à l’intime (Mes nuits blanches, 2003), à l’individu (Humanitas, 2010; Adoland, 2014-2017), au corps dansant et au mouvement (Tanz Party, 2002; Amalgat, danse, tradition et autres spiritualités, 2007). Élargissant le champ de la photographie à d’autres médiums, elle collabore régulièrement avec des artistes multidisciplinaires provenant de la danse, de la performance ou encore de la musique (Mapping Territories: A Shanghai Story, 2006; Abrazo, 2016[02]). Toujours dans le but de valoriser son propos documentaire, elle s’intéresse continuellement aux nouvelles technologies et explore le son autant que l’image fixe ou en mouvement. Les modes de monstration de ses projets artistiques font partie intégrante de son processus créatif. Que ce soit dans l’installation immersive d’un espace d’exposition ou dans des projets interactifs[03], la photographe cherche à convoquer la rencontre et l’échange.
La série Rituel festif – Portraits de la scène rave à Montréal[04], réalisée entre 1996 et 1997, marque une période charnière dans la carrière de Caroline Hayeur. Lorsqu’elle entreprend de documenter le phénomène des raves au Québec – rassemblements autour de la danse et de la musique techno auxquels elle participe depuis le début du mouvement – l’usage de la couleur est encore récent dans les pratiques documentaires au Québec. Elle commence donc à expérimenter une photographie avec une facture contemporaine et à explorer de nouvelles formes de narration. De cette recherche nait un imposant corpus d’images qui va d’abord connaître une diffusion locale (Mois de la Photo à Montréal, Espace F – centre d’artistes, Matane) et une publication éponyme, suivi de nombreuses parutions dans des magazines ou quotidiens québécois (La Presse, Mirror, Topo Magazine) et français (Libération, Technikart Magazine) qui illustrent les manifestations technos devenues populaires en de nombreux pays. Ce travail a fait l’objet de plusieurs expositions internationale et s’intègre encore régulièrement à des expositions collectives[05].
La série est composée majoritairement de portraits. Ceux-ci ont été réalisés avec un appareil moyen format (Bronica 645 ETRSi, 6 x 4,5 cm) et du film positif couleur (communément appelé diapositive). Le rendu esthétique des images repose notamment sur le procédé du traitement inversé – développement d’un film positif dans une chimie pour film négatif qui provoque un renforcement des couleurs – accentué de surcroit par une date de péremption expirée du film, impliquant une augmentation du grain. Le flash et la pose longue viennent figer l’abandon des danseurs et danseuses, tout en conservant en mémoire les trainées lumineuses comme des traces de leurs mouvements déjà prêts à s’effacer pour laisser place à d’autres. Les sujets semblent dans une parenthèse temporelle, tandis que les faisceaux des spots d’éclairage participent à ce moment éphémère en interférant dans l’image. Par leur multiplicité et leur rigueur technique (cadrage plan en pied, utilisation du flash, sujet de face)[06], ces portraits forment une mosaïque qui rend compte de l’ampleur du phénomène de la culture techno à Montréal et aux alentours dans les années 1990-2000. Ils représentent un inventaire notable des esthétiques vestimentaires caractéristiques de ce mouvement, tout en collectant les pas de danse propres à la musique électronique. Dans une perspective de mémoire collective, Rituel festif – Portraits de la scène rave à Montréal est un jalon important dans la photographie documentaire contemporaine au Québec car il représente un phénomène qui a marqué toute une génération, ici et ailleurs.
Principales collections
- Ville de Montréal
- Office municipal d’habitation de Québec
- Collection photographique FNAC, Paris (France)
01 Depardon, R. et Bergala, A. (1981). Correspondance new-yorkaise. Libération/Éditions de l’Étoile.
02 Série réalisée en collaboration avec l’artiste D. Kimm.
03 Voir les projets produits par l’ONF/interactif – Office national du film du Canada : 24 poses féministes; Primal; Habiter : au-delà de ma chambre.
04 Hayeur, C. (s. d.). Rituel festif – Portraits de la scène rave à Montréal.
05 Entre 2019 et 2022, la série Rituel festif a fait partie de la tournée européenne de l’exposition de groupe ÉLECTRO commissariée par Jean-Yves Leloup.
06 Processus artistique développé en collaboration avec Emmanuel Galland, artiste et commissaire en art contemporain. Propos recueillis lors d’un entretien avec Caroline Hayeur, décembre 2019.
Bibliographie
Ben Saadoune, N., Galland, E., et Hayeur, C. (1997). Rituel festif: Portraits de la scène rave à Montréal. Festive ritual : Portraits of the Montreal rave scene. Macano.
Bertrand, S., et Fournel, J. (dir.). (2024). Agence Stock Photo: Une histoire du photojournalisme au Québec. Les éditions du passage.
Prost, J.-F. (dir.). (2021). La fête. VU.
Ben Saadoune, N., Galland, E., et Hayeur, C. (1997). Rituel festif: Portraits de la scène rave à Montréal. Festive ritual : Portraits of the Montreal rave scene. Macano.
Bertrand, S., et Fournel, J. (dir.). (2024). Agence Stock Photo: Une histoire du photojournalisme au Québec. Les éditions du passage.
Prost, J.-F. (dir.). (2021). La fête. VU.