Benoit Aquin : le vivant dans tous ses états

Benoit Aquin (1963-), Gengis Khan, Mongolie-Intérieure (série Le « Dust Bowl » chinois), 2006, Épreuve au jet d’encre, 4/12, 101,8 x 142 cm, Courtoisie de Benoit Aquin.
Montréalais d’origine, Benoit Aquin séjourne très jeune avec sa famille en Haïti, où il s’initie au médium en photographiant ses sœurs avec un appareil Brownie. C’est lorsque sa famille s’installe ensuite en Amérique centrale alors qu’il est adolescent, que lui vient un intérêt à photographier les paysages. En 1985, il part étudier à la New England School of Photography à Boston. Assidu, il explore la photographie commerciale, mais préfère les possibilités artistiques du médium et le photojournalisme. De retour à Montréal après l’obtention de son diplôme, il se confronte aux difficultés du métier au Québec. Il commence par répondre à des commandes pour des publications de la scène locale comme le Mirror, tout en produisant ses projets personnels. En 1988, il rejoint l’Agence Stock Photo, un regroupement de photojournalistes québécois, et entame une collaboration avec l’Agence canadienne de développement international (ACDI). La même année, il fait une rencontre marquante avec le photographe américain Eugene Richards à New York, qui lui conseille de conserver son authenticité et d’éviter les écueils des clichés de l’image spectacle. Cette même honnêteté que l’on retrouve, par exemple, dans les récits visuels de John Max, autre influence du photographe.
La vision du monde de Benoit Aquin, combinée à son envie de témoigner du rapport parfois conflictuel entre l’humain et le territoire, l’amène à réaliser des projets au long cours pour lesquels il effectue, en amont, des recherches approfondies. Il s’intéresse aux conséquences et aux effets sur le vivant d’un événement plus qu’aux faits eux-mêmes. Après de nombreuses collaborations avec le Voir, L’actualité, Hour, Maclean’s, TIME Magazine ou En Route, il renonce complètement au photojournalisme en 2008 pour se consacrer à ses projets personnels.
Artiste-chercheur, Benoit Aquin pose un « regard libre »[01], mais fixé sur le monde, qui s’émancipe du documentaire traditionnel en adoptant une pratique hors des limites des genres. Chacune de ses esthétiques résonne avec les thématiques qui le préoccupent : les enjeux sociétaux, environnementaux, humanitaires et spirituels sont récurrents dans les séries du photographe. Parmi celles-ci, citons Haïti chérie, (1989-1992), La crise d’Oka au Québec[02] (1991), Deadly mist[03] (2005), Lavi an pa fini (2010). Il explore également des langages comme l’autofiction poétique ou ésotérique dans L’Odyssée[04] (1991-2001) et La dimension éthérique du réseau par Anton Bequii (2019); l’enquête dans Mégantic (2013-2014); le scénario d’anticipation dans L’Agriculture au Québec, un photo-roman d’anticipation (2015). Depuis 2021, Benoit Aquin retrouve une pratique en argentique lorsqu’il réalise une série en noir et blanc intitulée Aimer la lumière[05], composée de natures « vivantes » où il est question de l’interaction entre monde végétal et les êtres humains. La démarche singulière du photographe donne lieu à différents récits, mais toujours en lien avec une vision globale sur le « théâtre des actions humaines »[06].
En 2006, il documente la désertification d’un territoire qui s’étend de la Chine à la Mongolie-Intérieure[07]. Véritable désastre écologique dû à l’augmentation de la population et à la demande alimentaire, cette zone est devenue l’objet d’épisodes de tempêtes de sable[08]. Tantôt par voie ferroviaire, tantôt par voies terrestres, le photographe fait halte, sous la surveillance des autorités chinoises, pour témoigner de cette catastrophe humanitaire et environnementale.
Malgré le ton monochrome orangé, presque sépia, provoqué par la poussière, l’image tirée de ce projet est en couleur. L’effet visuel rend confus les repères spatio-temporels. Perdue dans le brouillard, centrée au dernier plan, une figure chevaleresque domine l’image anachronique. On guette son mouvement. Pétrifiée dans son époque, elle ne bougera pas, car il s’agit d’une statue à la gloire de Gengis Khan, considéré comme l’un des plus grands chefs militaires mongols du XIIIe siècle. Mais face à la tempête de sable, le souverain si vénéré pour sa puissance ne peut pas gagner cette ultime bataille. Notre regard se détourne de lui pour chercher un lien au vivant. Un petit groupe de personnes figées semble résister. Qu’attendent-elles ? Le passage au vert, un véhicule de transport en commun ? L’ambiance inquiétante renforcée par l’absence d’autres êtres humains laisse supposer l’abandon d’une population livrée aux affres des changements climatiques.
Respectant parfaitement la règle des tiers, la photographie dresse un tableau étrange et se confond avec une peinture ou un dessin au fusain. Les formes géométriques rectangulaires des passages piétons qui se répètent sur plusieurs plans horizontaux viennent rompre la verticalité des poteaux rouges et blancs qui semblent circoncire la voie, et ceux des feux de circulation. L’image – elle s’inscrit dans la série Le « Dust Bowl » chinois[09] (Prix Pictet et Prix du magazine canadien en photojournalisme et essais photographiques en 2008) – pourrait être tirée d’un roman d’anticipation post-apocalyptique : recouverte de poussière, sans l’ombre d’une verdure, la photographie traduit la menace d’une asphyxie.
Principales collections
- Caisse de dépôt et placement du Québec
- Hydro-Québec
- Library of Congress, Washington, États-Unis
- Musée des beaux-arts de Montréal
- Musée des beaux-arts du Canada
- Musée national des beaux-arts du Québec
01 Dessureault, P. (1993). Benoit Aquin : un regard libre. CV Photo, (24), 9-19
02 Aquin, B. (1990-1995). [Oka Crisis photographs]. Fonds Benoit Aquin (R9330-1-4-E), Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa, Canada.
03 Noorderlicht. (2010). Benoit Aquin. Deadly mist (Nicaragua, 2005).
04 La série L’Odyssée fait partie de la collection du Musée des beaux-arts de Montréal.
05 Galerie Hugues Charbonneau. (s. d.). Benoit Aquin.
06 Extrait d’une conversation avec Benoit Aquin le 8 décembre 2023.
07 Il réalise ce projet en binôme avec le journaliste Patrick Alleyn.
08 Asselin, O. (2009). Benoit Aquin. Far east, Far west. Les éditions du passage.
09 Expression empruntée aux tempêtes de poussière qui eurent lieu dans les plaines du Canada et des États-Unis entre 1930 et 1940.
Bibliographie
Alleyn, P. (2007, 12 octobre). The Chinese dust bowl. The Walrus.
Aquin, B. (2006). Le « Dust Bowl » chinois.
Aquin, B. (2011). Lavi an pa fini Office national du film du Canada.
Aquin, B. (2015). Mégantic. VU Centre de diffusion et de production de la photographie.
Aquin, B. (2019). La dimension éthérique du réseau par Anton Bequii. Photosynthèses.
Asselin, O. (2009). Benoit Aquin. Far east, Far west. Les éditions du passage.
Dessureault, P. (1993). Benoît Aquin : un regard libre. CV Photo, (24), 9–19
Dickson, A. (2018, 7 juillet). A photography prize that shows the world as it is, and hopes to change it. The New York Times.
Ewing, W. E. (2009). Benoît Aquin: Fire & Ice / Benoît Aquin : de feu et de glace. Ciel variable, (81), 25-31.
Hakim, M. (1997). Benoît Aquin, Haïti chérie. Ciel variable, (39), 32-33.
Alleyn, P. (2007, 12 octobre). The Chinese dust bowl. The Walrus.
Aquin, B. (2006). Le « Dust Bowl » chinois.
Aquin, B. (2011). Lavi an pa fini Office national du film du Canada.
Aquin, B. (2015). Mégantic. VU Centre de diffusion et de production de la photographie.
Aquin, B. (2019). La dimension éthérique du réseau par Anton Bequii. Photosynthèses.
Asselin, O. (2009). Benoit Aquin. Far east, Far west. Les éditions du passage.
Dessureault, P. (1993). Benoît Aquin : un regard libre. CV Photo, (24), 9–19
Dickson, A. (2018, 7 juillet). A photography prize that shows the world as it is, and hopes to change it. The New York Times.
Ewing, W. E. (2009). Benoît Aquin: Fire & Ice / Benoît Aquin : de feu et de glace. Ciel variable, (81), 25-31.
Hakim, M. (1997). Benoît Aquin, Haïti chérie. Ciel variable, (39), 32-33.