Marie-Alice Dumont : pionnière de la photographie au Bas-Saint-Laurent

Figure 1
Marie-Alice Dumont (1892-1985), M. Roméo Gervais et Gérard Ouellet (Ti-noir), 1938, 16 cm x 10 cm, Musée du Bas-Saint-Laurent, Rivière-du-Loup, Fonds Marie-Alice Dumont, D2518.

Figure 2
Marie-Alice Dumont (1892-1985), Mlle Berthe Ouellet, 1937, 15 cm x 9 cm, Musée du Bas-Saint-Laurent, Rivière-du-Loup, Fonds Marie-Alice Dumont, D2447.

Figure 3
Marie-Alice Dumont (1892-1985), Portrait de couple, 1925, 14 cm x 8 cm, Musée du Bas-Saint-Laurent, Rivière-du-Loup, Fonds Marie-Alice Dumont, D1787.

Figure 4
Marie-Alice Dumont (1892-1985), Deux bébés, 1925, 8 cm x 13 cm, Musée du Bas-Saint-Laurent, Rivière-du-Loup, Fonds Marie-Alice Dumont, D1195.
Marie-Alice Dumont naît le 10 octobre 1892 dans le village de Saint-Alexandre-de-Kamouraska. Elle grandit au sein d’une famille nombreuse dans un milieu rural modeste dont la vie est rythmée par les rites et coutumes de la religion catholique. Son père, Uldéric, est l’un des premiers cultivateurs à s’installer dans la paroisse ; sa mère, Marie Pelletier, vient également d’une famille de cultivateurs.
Marie-Alice fréquente la petite école et le couvent. À environ 20 ans, elle intègre le noviciat des Sœurs de la Charité de Québec pour devenir religieuse-enseignante. Des ennuis de santé la forcent toutefois à quitter l’établissement après une année seulement. Elle retourne alors vivre chez ses parents. De constitution fragile, elle peine à contribuer aux tâches quotidiennes. Néanmoins, elle s’occupe de l’instruction de quelques-unes de ses jeunes sœurs.
Marie-Alice vient au monde à une époque où, déjà, l’image photographique est quasi omniprésente. Depuis l’invention de la photo à la fin des années 1830, on cherche à rendre la photographie accessible, car les premiers procédés sont très complexes et très coûteux. La photographie est alors un objet rare et précieux. Graduellement, diverses améliorations techniques permettent aux photographes professionnels de prendre des photos en plus grand nombre, plus facilement et à moindre coût. Puis, lorsque George Eastman commercialise son premier appareil portatif, le Kodak (1888), la photographie connaît une véritable révolution. En effet, cette dernière innovation entraîne une démocratisation de la pratique des photographes amateurs en facilitant grandement la prise de photos et leur développement. À compter du tournant du XXe siècle, la photographie amateur évolue donc aux côtés des studios professionnels où l’on se rend toujours pour obtenir de belles photos officielles. Au Bas-Saint-Laurent, des photographes itinérants offrent leurs services depuis le milieu du XIXe siècle, tandis qu’à Rivière-du-Loup, Stanislas Belle (1864-1936) fonde le premier studio de la région. Chez les Dumont, qui proviennent pourtant d’un milieu éloigné des grands centres urbains, là où l’on retrouve en nombre plus important des studios de photo, des portraits de familles sont rassemblés dans des albums et transmis d’une génération à l’autre.
Les voies par lesquelles Marie-Alice Dumont accède à la photographie sont multiples. D’abord, il est probable qu’elle ait été mise en contact avec la technique photographique lors de son passage chez les Sœurs de la Charité, vers 1914-1915. En effet, l’atelier de peinture du noviciat qu’elle fréquente comprend un petit studio sous la responsabilité de la grande artiste Sœur Marie-de-l’Eucharistie (Elmina Lefevbre, 1862-1946). Ensuite, Dumont trouve en son frère Joseph-Napoléon un premier mentor. Lui-même amateur de photographie, il encourage sa sœur célibataire à en faire son métier. En 1920, il lui fournit son premier manuel d’apprentissage, son premier appareil (un Brownie), ses premiers bacs de développement et ses premières solutions chimiques. Enfin, c’est au début des années 1920 que Marie-Alice perfectionne ses techniques de développement chez Ulric Lavoie, successeur de Belle à Rivière-du-Loup.
Les années 1920 à 1925 marquent la formation de Dumont. Elle fait des expériences en chambre noire et s’exerce l’œil en photographiant ses proches dans leurs activités du quotidien. Plusieurs clichés de cette époque traduisent une grande intimité entre la photographe et ses sujets, donnant lieu à des portraits d’un intérêt documentaire manifeste. Enfin, elle offre à la même époque de développer les photos prises par les élèves du collège de la Pocatière.
En 1925, Dumont aménage un petit espace dans la maison familiale du 5e rang afin d’y accueillir ses premiers clients. Un grand drap uni fait office de toile de fond, tandis que quelques objets et meubles lui servent pour le décor et la mise en scène. Ce sont ses humbles débuts comme professionnelle. Cependant, la carrière de Marie-Alice ne prend réellement son envol qu’à compter de l’automne 1926, alors qu’elle emménage au cœur du village avec le reste de sa famille. C’est là qu’elle ouvre le Studio Dumont. Une grande partie du rez-de-chaussée de la nouvelle demeure des Dumont est transformée en un studio bientôt animé du va-et-vient continuel des clients. Le milieu dans lequel travaille Marie-Alice est donc indissociable de l’univers domestique et familial. Qui plus est, deux de ses sœurs et une autre jeune femme se succèdent comme ses assistantes pendant trois décennies, ce qui fait du Studio Dumont un milieu de travail exclusivement féminin.
La clientèle est au rendez-vous au Studio Dumont, qui est parfaitement situé : il se trouve au centre du village, à la croisée de routes très fréquentées, non loin de la gare de chemin de fer et à un jet de pierre de l’église. Même si à Saint-Alexandre, on peut trouver « excentrique » cette femme célibataire exerçant un métier atypique, on se rend volontiers, tout comme les personnes de passage et les gens du Kamouraska, chez la photographe qui est tôt reconnue comme talentueuse. Les occasions ne leur manquent pas, d’ailleurs : une naissance, un anniversaire, une obtention de diplôme, une première communion, un mariage, un tournant dans la vie professionnelle, la venue de proches dans la région, etc. Marie-Alice est bien équipée pour mettre en scène et immortaliser tous ces moments qui, bien souvent, relèvent de rites de passage traditionnels.
La série de portraits ci-haut est représentative de certaines caractéristiques de l’œuvre de Dumont. D’abord, les sujets qui posent pour la photographe affichent un air assez naturel : les corps sont souvent souples, détendus, les poses parfois familières. Les visages ne transmettent pas le sentiment d’intimidation que l’on peut tous ressentir devant la caméra ; bien au contraire, ils esquissent fréquemment un sourire naturel : ni gêné, ni exagéré, ni emprunté, parfois en coin. Des témoignages, préservés dans les archives du Musée du Bas-Saint-Laurent et celles de la Société historique de Rivière-du-Loup, nous aident à comprendre comment la photographe travaille. Dumont a le don de rendre sa clientèle à l’aise. De caractère jovial, elle prend le temps de l’accueillir, d’expliquer sa démarche, de reprendre la pose en cas de doute. Elle observe ses sujets, tente de saisir leur personnalité. Elle se montre à l’écoute de leurs besoins. Elle fournit, le cas échéant, des accessoires, des vêtements ou des jouets. Quand des amis, des proches ou des couples posent ensemble, la photographe parvient à saisir l’intimité, la camaraderie qui les unit. Comme chez cet enfant au regard un peu perplexe, Marie-Alice capte aussi la spontanéité : des instants de grande expressivité, des moments d’émotions véritables qui rapprochent ses portraits des instantanés pris au Brownie. Une certaine douceur se lit aussi dans la lumière naturelle que la photographe privilégie et dans laquelle baignent, par la gauche, les visages de tous ses sujets.
Marie-Alice ne manque pas de clients, mais ne les enchaîne pas à un rythme effréné. Elle fait presque tout elle-même ; elle a le souci du beau et prend son travail à cœur. Il est vrai que Dumont photographie beaucoup de ses proches, amis, connaissances et voisins. Tout le monde semble se connaître dans le Kamouraska d’alors. Ainsi, la photographe a pu établir des liens privilégiés avec bon nombre de ses sujets, et cela se lit dans ses portraits. Il en ressort une impression générale d’authenticité, voire une certaine légèreté. Sa clientèle, très largement canadienne-française, modeste et provenant de milieux ruraux, peut apparaître, de manière générale, moins guindée que celle de studios de milieux urbains, bourgeois ou anglophones tels que chez Livernois, Notman ou Sally Wood[01].
Dumont prend sa retraite, en 1961, pour des raisons de santé. Sa carrière aura duré plus de 35 ans, une exception à cette époque, au Bas-Saint-Laurent. Elle est reconnue comme la première femme photographe professionnelle du Bas-Saint-Laurent, et l’une des toutes premières dans tout l’est du Québec.
Principales collections
- Fonds Marie-Alice Dumont, Musée du Bas-Saint-Laurent.
- Fonds Musée du Bas-Saint-Laurent, Société historique de Rivière-du-Loup.
01 On comparera aussi l’œuvre de Marie-Alice Dumont, reconnaissable pour les raisons évoquées, à celle de Stanislas Belle. Photographe de talent, formé à New York et pionnier à Rivière-du-Loup, Belle produit une œuvre de studio de grande qualité mais qui apparaît souvent plus froide, plus conventionnelle, plus « carrée » que celle de Dumont, notamment par l’utilisation d’une lumière plus intense. On peut consulter le fonds Stanislas Belle en ligne : 1864-1936 Stanislas Belle. (2024). Cyberphotos.
Bibliographie
Bouchard G. et Jean, R. (1995). Aux limites de la mémoire : photographies du Québec, 1900-1930. Publications du Québec.
Bureau, L. (2004). Sous l’œil de la photographe. Portraits de femmes 1898-2003. Centre d’exposition de Val-d’Or.
Bureau, L. (2007). Le portrait photographique au Québec. Les cas de Sally Eliza Wood (1857-1928) et de Marie-Alice Dumont (1892-1985) [mémoire de maîtrise]. Université de Montréal.
Dumont, K. [Kim DuMontage]. (2021). 3/3 Histoires de paroisse — Mlle Marie Alice [sic] Dumont Photographe [vidéo]. YouTube.
Guimond, O. et Musée du Bas-Saint-Laurent, Marie-Alice Dumont, pionnière de la photographie au Bas-Saint-Laurent. (2025). Exposition numérique, Musée du Bas-Saint-Laurent.
Jean, R. (1991). Mademoiselle Marie-Alice Dumont, photographe. Musée du Bas-Saint-Laurent.
Marcil, M. (1990). Femmes et photographie au Québec (1830-1940) [mémoire de maîtrise]. Université du Québec à Montréal.
Marcil, M. (1990). Images de femmes. Les Québécoises photographes. Cap-aux-Diamants, 21, 39-41.
Potvin, S. (journaliste). (2018). Daria Dumont [reportage]. Dans A.- C. Charest (réalisatrice), Mémoire Vivante. TVCK.
Skidmore, C. (2022). Rare Merit. Women in Photography in Canada, 1840-1940.
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