Serge Tousignant : l’artiste chercheur

Figure 1
Serge Tousignant (1942-), Ruban gommé sur coins d’atelier, quinze points de vision, 1974, Photocopie (photostat), 2/5, 86,5 x 71,2 cm (carton); 76,2 x 61,2 cm (image), Collection du Musée national des beaux-arts du Québec, Don de l’artiste (2009.66), © Serge Tousignant, Photo : MNBAQ.

Figure 2
Serge Tousignant (1942-), Réflexion intérieure triangulaire, trois variations, 1983, Épreuves à développement chromogène, 46 x 160,5 cm, Collection du Musée national des beaux-arts du Québec, Achat pour la collection Prêt d’œuvres d’art en 1983, transfert à la collection permanente du Musée national des beaux-arts du Québec (2005.2748), © Serge Tousignant, Photo : MNBAQ.
La longue et riche carrière artistique et pédagogique de Serge Tousignant est marquée par plus de cinq décennies d’œuvres multiformes et pluridisciplinaires et près d’une quarantaine d’années d’enseignement. Tousignant a acquis une renommée tant nationale qu’internationale et a récolté de nombreux prix au cours de sa carrière, dont une nomination en 2004 comme membre de l’Académie des arts, des lettres et des sciences du Canada, en reconnaissance de l’excellence de ses réalisations universitaires et artistiques.
Bien qu’il ait commencé sa carrière dans les années 1960 en tant que graveur, peintre et sculpteur, Tousignant adopte dès 1972 une pratique photographique qui sera centrale et déterminante quant à la pluralité de sa démarche ultérieure. Son intérêt pour les phénomènes optiques est tel que les chassés-croisés disciplinaires doivent désormais être observés à travers le prisme de la photographie.
Dès le début de son parcours créatif, que ce soit avec la sculpture, la peinture ou des techniques d’impression, il se distingue par son implication dans un art plus « expérimental » propice à créer de nouvelles structures photographiques. Ses expérimentations sont motivées par des approches formalistes et minimalistes. Le formalisme met l’accent sur le travail élémentaire de la forme en opposition aux gestes impulsifs et frénétiques des expressionnistes; le peintre américain Barnett Newman ou le québécois Guido Molinari sont parmi les artistes reconnus de ce courant. L’approche minimaliste (proche parent du formalisme) est orientée vers des formes simples et géométriques disposées de manière sérielle et répétitive; le sculpteur américain Donald Judd, le peintre Sol Lewitt ou l’artiste conceptuel québécois Bill Vazan en sont de très bons exemples. Membre fondateur de la galerie parallèle Véhicule Art[01], fondée en 1972, Tousignant partage cette conception de l’art aux côtés d’une génération d’artistes-photographes préoccupés par les notions de temps et de mouvement et adeptes d’un art minimaliste et de pratiques conceptuelles qui positionnent le processus, l’acte créatif lui-même, au premier plan.
Sa production artistique s’inscrit bien dans cette tendance expérimentale, rehaussée d’une touche d’humour. Fasciné par les ambiguïtés spatiales et visuelles et les structures abstraites, Tousignant entreprend d’utiliser l’espace de son atelier comme composante de ses œuvres dans l’intention de comprendre les diverses manifestations liées à la perception. Autrement dit, il cherche à expliquer la mécanique du regard. C’est le cas des séries Coins d’atelier (1972-73) et Ruban gommé sur coins d’atelier (1973-1974), ses toutes premières expérimentations en photographie, qui mettent à profit la capacité qu’offre l’appareil photo à produire des illusions d’optique.
Dans Ruban gommé sur coins d’atelier, 15 points de vision (fig. 1), la forme cubique qui semble flotter dans l’espace est en fait le résultat d’un ruban adhésif noir que Tousignant a collé sur les coins de son atelier, là où les murs rejoignent le plafond. Chaque image est reproduite dans une composition en forme de grille, le motif géométrique étant saisi selon un angle différent de prise de vue, de manière à créer des trompe-l’œil. Des jeux d’éclairage et de cadrage modifient les formes et les volumes du cube, celui-ci apparaissant parfois en creux, parfois bombé, parfois irrégulier, ce qui a pour effet d’accentuer la confusion.
L’usage de la grille structure l’approche systématique de Tousignant. Lumière, ombre, volume, angle de vue, cadrage, ligne et géométrie sont reproduits dans un système séquentiel, sériel, répétitif et ordonné de manière presque scientifique. La grille démontre ainsi les multiples possibilités qu’offre un même procédé optique soumis au travail rigoureux de recherche et d’expérimentation qu’effectue l’artiste. Mais à travers cette démarche méthodique, Tousignant introduit une importante part de ludisme, qui teinte par ailleurs l’ensemble de sa production, invitant la personne qui regarde l’œuvre à participer au jeu. Intriguée par les différentes transformations du cube et les apparences trompeuses, celle-ci se doit de collaborer en cherchant des repères, si elle souhaite comprendre l’environnement et le sens des images. En balayant les images du regard, l’œil circule sans cesse entre abstraction et figuration alors que tantôt des lignes d’angle disparaissent, tantôt des indices du lieu (fragments de portes et de fenêtres) se dévoilent.
Le triptyque Réflexion intérieure triangulaire, trois variations (fig. 2) est une autre démonstration du rôle de la lumière sur l’espace et les objets dans la création de nouvelles réalités. Les ombres projetées sur chacun des murs sont des motifs géométriques esquissés principalement par les variations des rayons de la lumière du soleil, une lumière qui frappe en diagonale les objets déposés sur la table où repose un miroir. Encore ici, le regard voyage entre la lumière, la table, les objets et leur reflet déformé au mur pour en interpréter les astuces visuelles.
En explorant plusieurs aspects d’un même sujet, Serge Tousignant prend plaisir à manipuler les formes et les images dans le but de donner à voir la manière dont une œuvre d’art occupe l’espace, de permettre à la personne qui regarde d’aiguiser son regard, d’interroger les déformations de la vision et de construire lui-même le sens des images.
Principales collections
- Agnes Etherington Art Centre
- Art Gallery of Nova Scotia
- Art Gallery of Ontario
- Carleton University Art Gallery
- Collection d’œuvres d’art, Université de Montréal
- Galerie de l’UQAM
- Galerie Leonard & Bina Ellen, Université Concordia
- Musée d’art contemporain de Montréal
- Musée d’art de Joliette
- Musée de Lachine
- Musée des beaux-arts de Montréal
- Musée des beaux-arts de Sherbrooke
- Musée des beaux-arts du Canada
- Musée national des beaux-arts du Québec
- The Winnipeg Art Gallery
- Vancouver Art Gallery
01 Véhicule Art est une galerie autogérée par des artistes, intégrée dans un réseau de diffusion internationale, qui a joué un rôle fondamental sur la scène de l’art au Québec en présentant des pratiques conceptuelles incluant des performances, de la vidéo et des photographies.
Bibliographie
Serge Tousignant. Exposés de recherche. (s. d). VOX.
VOX. (2017). Entretien avec Serge Tousignant dans le cadre de son exposition rétrospective à VOX [vidéo].
Campeau, S. (1992). Maquettes d’atelier, Serge Tousignant. Séquence, 9-38
Delgado, J., Hakim, M., Jean, M. J., Roger, C. et Tousignant, S. (2018). Serge Tousignant : exposés de recherche, VOX.
Dessureault, P. (1992). Serge Tousignant, parcours Photographiques. Musée canadien de la photographie contemporaine.
Serge Tousignant. Exposés de recherche. (s. d). VOX.
VOX. (2017). Entretien avec Serge Tousignant dans le cadre de son exposition rétrospective à VOX [vidéo].
Campeau, S. (1992). Maquettes d’atelier, Serge Tousignant. Séquence, 9-38
Delgado, J., Hakim, M., Jean, M. J., Roger, C. et Tousignant, S. (2018). Serge Tousignant : exposés de recherche, VOX.
Dessureault, P. (1992). Serge Tousignant, parcours Photographiques. Musée canadien de la photographie contemporaine.