Que reste-t-il de nous ? de Sonia Robertson : la photographie pour accéder à l’essence des lieux

Figure 1
Sonia Robertson (1967-). Que reste-t-il de nous ? 2013. Projections photographiques, impression jet d’encre, diffusion audio. Photo : Mathieu Savoie.

Figure 2
Schéma de l’installation Que reste-t-il de nous ? de Sonia Robertson. Espace F. 2013.
Sonia Robertson est une artiste ilnue qui vit et travaille à Mashteuiatsh. En 1996, elle obtient un baccalauréat interdisciplinaire en art de l’Université du Québec à Chicoutimi et complète, en 2017, une maîtrise en art-thérapie à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Surtout connue pour ses installations in situ, cette artiste multidisciplinaire a d’abord pratiqué la photographie et sa démarche créative continue de s’en inspirer. Le médium est présent dans plusieurs de ses installations, que ce soit par transfert ou par projection sur des surfaces aussi diverses que des murs, des peaux d’animaux, ou du verre soufflé.
L’œuvre Que reste-t-il de nous ? (fig. 1) est particulièrement intéressante pour envisager la pratique artistique de Sonia Robertson et saisir l’importance de la photographie dans son parcours. Réalisée dans le cadre du projet Québec Décapé présenté à l’Espace F de Matane en 2013, il s’agit d’une installation in situ qui se déploie en trois temps.
Sur la fenêtre de la salle, l’artiste a installé un tissu noir percé de petits trous suivant une ligne horizontale (fig. 2, section 1). Par les trous de lumière ainsi formés, l’image de la rue à l’extérieur de la galerie est projetée sur une bande de papier translucide. Ce procédé reproduit le principe de la camera obscura. Devant, un diaporama de photographies de la rivière Matane, qui coule à proximité, est projeté au sol. La trace matérielle de la rivière captée par les photographies permet à l’artiste de signaler la présence ancestrale des nations autochtones sur le territoire. En effet, des fouilles archéologiques menées au bord du cours d’eau ont révélé des traces de plusieurs nations, dont les Ilnus et les Kanien’kehá:ka[01]. Par ces deux procédés, l’artiste fait pénétrer les lieux environnants dans l’espace de la galerie et, le temps de l’exposition, le marque ainsi de l’empreinte du territoire et de son histoire.
À droite de la camera obscura, de longues bandes de papier descendent du plafond (fig. 2, section 2). Elles sont réparties dans l’espace de façon à ce qu’en se positionnant à un endroit précis, il soit possible de voir dans son ensemble la photographie représentant une forêt. L’image est imprimée en faibles contrastes, à la manière d’une trame d’impression. De part et d’autre, une projection de 12 minutes se réfléchit sur les bandes de papier et les murs environnants. Il s’agit d’un fondu enchaîné qui passe de la photographie de la forêt à celle de l’usine de pâte à papier de Matane. L’artiste nous invite ici à réfléchir à l’exploitation de la forêt et à la responsabilité qu’ont les usines de la région quant à sa dégradation.
Du côté gauche de la camera obscura, un tulle blanc a été placé de façon à décrire une courbe dans l’espace. Une succession d’images de la mer y est projetée, certaines laissant apparaitre et disparaitre un petit bateau. C’est la force de la mer et son importance dans la région matanaise qui est évoquée ici.
Une bande sonore diffusant les voix de personnes interrogées dans la ville complète l’installation. L’artiste leur a demandé si elles connaissaient le sens de « Matane », un nom mi’gmaq qui signifie « vivier de castors ». Les réponses recueillies révèlent, dans certains cas, l’absence des Premières Nations dans l’imaginaire local actuel.
Cette installation élaborée à partir de procédés photographiques montre la façon dont Sonia Robertson utilise le médium pour saisir l’esprit des lieux et le transposer dans l’espace de la galerie. L’artiste ilnue, qui se considère comme une « voleuse d’âme », utilise la photographie comme trace matérielle pour capter son expérience spirituelle avec ses sujets[02]. Elle explique :
C’est la photographie qui me permet de communiquer avec l’esprit des choses. De l’invisible. C’est un moyen pour moi de saisir l’âme et l’esprit des objets et des choses. J’aime beaucoup interroger la perception qu’on peut avoir d’une chose ou d’un objet. J’aime bien amener les gens à voir autrement. Voir l’invisible ou des détails.[03]
On comprend ici que la photographie constitue un outil de médiation entre l’artiste et les objets, les êtres et les lieux qu’elle veut saisir de manière sensible. Ainsi, l’installation in situ Que reste-t-il de nous ? est un exemple de la façon dont Sonia Robertson se sert de la photographie autant dans sa dimension symbolique que mécanique pour poursuivre une quête spirituelle qui lui permet d’accéder à l’essence des êtres et des lieux, au-delà de leur apparence.
01 Conversation avec l’artiste, 5 février 2024.
02 Site internet de Sonia Robertson.
03 Sonia Robertston citée dans Laurier, D., Inutiq, G., Awashish, E., Myre, N., Vollant, F., Kurtness, K., Picard-Sioui, L.-K., Mestokosho-Paradis, L., Robertson, S., Rivard, S. et La troupe Maikan. (2018). Portfolio – Porteurs d’espoir : artistes autochtones et création d’un matériel pédagogique en enseignement des arts visuels contemporains. Recherches amérindiennes au Québec, 48(1-2), 17-39.
Bibliographie
Site de l’Espace F, projet Québec décapé
Bouchard, J. (2003). Le voyage de Sonia Robertson : Un territoire pour une histoire. Recherches amérindiennes au Québec, 33(3), 45-54.
Charce, C. (2008). Entre-deux mondes: métissage, identité et histoire sur les traces de Sonia Robertson, Sylvie Paré et Rebecca Belmore, ou, Les parcours artistiques de trois femmes artistes autochtones, entre la mémoire et l’audace [mémoire de maîtrise]. Université du Québec à Montréal.
Kaine, E. et Sioui Durand, G. (1996). Sonia Robertson : Arbre sacré. Galerie Séquence.
Laurier, D., Inutiq, G., Awashish, E., Myre, N., Vollant, F., Kurtness, K., Picard-Sioui, L.-K., Mestokosho-Paradis, L., Robertson, S., Rivard, S. et La troupe Maikan. (2018). Portfolio – Porteurs d’espoir : artistes autochtones et création d’un matériel pédagogique en enseignement des arts visuels contemporains. Recherches amérindiennes au Québec, 48(1-2), 17-39.
Martin, L.-A. (2005). Au fil de mes jours. Musée national des beaux-arts du Québec.
Robertson, S. (2019, 1er avril). Du rêve à l’art-thérapie [vidéo]. La Fabrique culturelle.
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