Quand le « négatif » est positif : le daguerréotype et les premiers portraits de studio

Photographe inconnu, Le charpentier au Canada, Vers 1850, Daguerréotype, Bibliothèque et Archives Canada / 4821578
L’homme sur la photo, un marteau à la main, est un mystère. Tout ce que nous savons de lui tient en une courte phrase : c’est un charpentier qui travaille à Québec. A-t-il commandé cette image prise vers 1850 ? Probablement pas. Le prix d’un tel portrait est très élevé pour un ouvrier, même spécialisé. De plus, la représentation faisait partie des collections de l’un de ses employeurs, Lord Elgin, gouverneur du Canada de 1847 à 1854. Le nom du photographe est inconnu, ce qui est plutôt courant pour les œuvres de cette époque qui sont peu souvent signées. Pourquoi s’intéresser alors au Charpentier au Canada? Parce qu’il s’agit d’un des rares daguerréotypes de cette période qui représente une personne appartenant à la classe populaire. Étant donné la taille minuscule du corpus de daguerréotypes du Québec ayant survécu jusqu’à nos jours, cette photo est d’autant plus remarquable. C’est un portrait qui, au-delà de l’identité spécifique de la personne, illustre un type social et une occupation.
Les daguerréotypes sont des images fixées sur une plaque de cuivre recouverte d’une mince couche d’argent poli. Ils sont produits à partir de composés chimiques qui créent une image en noir et blanc. Les joues rosies du charpentier sont dues à des retouches. Ce type de retouches est le plus souvent effectué en studio. Cette image, comme tous les daguerréotype, est un exemplaire unique. Le procédé produit une image à la fois positive et négative sur la même plaque, selon l’angle de vue.
Les inventions de la photographie
L’invention du daguerréotype survient à un moment où plusieurs personnes sont à la recherche de techniques capables de fixer une image créée par la lumière. Le tandem composé des français Louis Daguerre (1765-1833) et Nicéphore Niépce (1766-1833), ainsi que le britannique William Henry Fox Talbot (1787-1851), sont les premiers à y parvenir. La mise au point finale de leur découverte a lieu dans les derniers mois de l’année 1838, pour Daguerre et Niépce, et au tout début de l’année 1839 pour Talbot. La photographie naît avec ces deux procédés.
La découverte de Daguerre et Niépce fait l’objet d’un article dans la Gazette de Québec dès février 1839. Les textes sur le sujet se multiplient dans les journaux à partir du mois d’avril de la même année.
Les premiers studios
Les premiers daguerréotypistes commerciaux à travailler au Québec sont deux New-Yorkais de passage : Andrew Halsy et Harry Sadd. Leur studio itinérant s’installe à Montréal et à Québec durant l’automne 1840. Une femme suivra rapidement en 1841. Mrs John Fletcher, venue de Boston pour accompagner son mari conférencier, est une des premières photographes en Amérique. Elle ouvre brièvement des studios à Montréal et à Québec, en plus d’offrir des cours sur le nouveau procédé.
Frederick Wyse est, selon plusieurs, le premier photographe professionnel québécois. Son studio opère à Québec de 1842 à 1845. Wyse s’est formé auprès de l’États-Unien George W. Prosch, qui offre ses services pendant quelques semaines à Québec en 1841. La première femme à ouvrir un studio permanent au Canada s’installe à Québec. Son nom est Ann Maryn, née Lamblyn. Elle reçoit sa clientèle dans un espace qu’elle partage avec son mari horloger.
Le portrait au daguerréotype
Procédé dominant des années 1840, le daguerréotype est surtout utilisé pour des portraits. Il nécessite un long temps de pose. Les personnes photographiées doivent donc rester sans bouger pendant de longs instants. La durée, plusieurs minutes au départ, se réduit par la suite. Pour arriver à cette immobilité, des ganses retiennent parfois les personnes portraiturées à leur chaise. La posture extrêmement droite de l’ouvrier dans Charpentier au Canada suggère le recours à un dispositif de ce genre. Dans tous les cas, le temps de pose explique son aspect figé.
Fragiles et, pour cette raison, conservés dans des boîtiers, les daguerréotypes offrent des rendus extrêmement précis. Ils ont une dimension limitée et ils seront très à la mode au cours des années 1840. À compter du milieu de l’année 1850, les procédés utilisant le collodion humide les concurrencent. Le collodion humide rend possible l’obtention de plusieurs exemplaires à partir d’un négatif et des épreuves de grand format. Plus accessible financièrement, les deux nouveaux procédés permettent à la classe moyenne de devenir une partie importante de la clientèle des photographes.
Bibliographie
Carey, B. (1988). Daguerreotypes in the National Archives of Canada. History of Photography, 12(1), 45-60.
Cloutier, N. (1980). Les disciples de Daguerre à Québec, 1839-1855. Journal of Canadian Art History, 5(1), 33-38.
Greenhill, R. et Birrell, A. (1979). Canadian Photography : 1839-1920. The Coach House.
Carey, B. (1988). Daguerreotypes in the National Archives of Canada. History of Photography, 12(1), 45-60.
Cloutier, N. (1980). Les disciples de Daguerre à Québec, 1839-1855. Journal of Canadian Art History, 5(1), 33-38.
Greenhill, R. et Birrell, A. (1979). Canadian Photography : 1839-1920. The Coach House.