Pierre-Gustave Joly de Lotbinière : le voyageur curieux

Frédéric Martens (1806-1885), Le Parthénon à Athènes, extrait de l’ouvrage Excursions daguerriennes de Noël Paymal Lerebours, vol. I, entre 1840 et 1841, Lithographie, 26 x 36 cm (papier); 15,1 x 20,4 cm (image), D’après un daguerréotype (photographie) de Joly de Lotbinière, Collection du Musée national des beaux-arts du Québec, Achat (2011.80), Photo : MNBAQ.
Pierre-Gustave Joly (1798-1865) est considéré comme le premier photographe québécois et par le fait même canadien. C’est lors de son voyage autour de la Méditerranée en 1839 qu’il réalise ses photos. Il est aussi le premier à avoir photographié le Parthénon à Athènes en Grèce.
Voici son histoire. Pierre-Gustave Joly est originaire de Suisse et issu d’une famille protestante francophone. Afin de faire le négoce du vin, les Joly s’établiront à Épernay en Champagne (France). Pierre-Gustave Joly fait le commerce du vin familial en Europe et jusqu’au Canada. Et c’est au Québec qu’il rencontre Julie-Christine, sa future épouse, et qu’il devient Seigneur de Lotbinière.
Le Seigneur Alain Chartier de Lotbinière avait trois filles et, selon son testament en 1822, lorsque la troisième se marierait, chacune d’entre elles recevraient un domaine. C’est ainsi que le 16 décembre 1828 lorsque Julie-Christine Chartier de Lotbinière, la plus jeune des filles, épouse à 18 ans Pierre-Gustave Joly, celui-ci hérite d’un titre. En effet selon les lois de l’époque, Julie-Christine n’ayant pas encore 21 ans, elle ne peut gérer sa propriété; Pierre-Gustave devient donc par son mariage le Seigneur de Lotbinière et le gestionnaire d’une propriété de 148 176 arpents.
À la fonte des glaces sur le fleuve Saint-Laurent au printemps 1829, il part en France pour présenter son épouse à sa famille. Le retour se fait en 1830 et le couple a déjà son premier enfant, Henri-Gustave, futur premier ministre du Québec. Joly est un voyageur curieux à l’esprit scientifique, mais comme gestionnaire du domaine il est plutôt ferme avec ses censitaires et sa rigueur lui attire des ennemis. On peut imaginer le choc d’une population catholique devant un seigneur protestant. Il est aussi souvent absent pour ses affaires, mais cela ne l’empêche pas de gérer à distance et de faire construire une scierie afin de mettre ses forêts en valeur.
Lors de la Rébellion du Bas-Canada de 1837-1838, la famille migre en Europe. Pierre-Gustave préparait au même moment un voyage en Orient qu’on appelle le Grand Tour, populaire auprès des hommes de la bourgeoisie. Il apprend par les journaux en 1839, l’invention de la photographie par Louis Daguerre (1787-1851). C’est ainsi que deux mois après la divulgation officielle de l’invention par le député François Arago, l’opticien Noël-Marie-Paymal Lerebours convainc plusieurs voyageurs, dont Joly, de participer à l’aventure de la photographie. Il lui fournit l’équipement nécessaire pour photographier les grands monuments de Grèce et d’Égypte. Il revient de ce voyage avec 86 plaques, l’opticien et éditeur Lerebours en publie six dans l’album Excursions Daguerriennes : Vues et monuments les plus remarquables du globe en 1841[01]. D’autres sont aussi publiées par Hector Horeau dans Panorama d’Égypte et de Nubie avec un portrait de Méhémet-Ali et un texte orné de vignettes.
Aujourd’hui il ne reste aucune trace des daguerréotypes de Joly de Lotbinière, seules les interprétations lithographiques publiées dans les albums de Lerebours et Horeau. Les daguerréotypes sont des images positives sur une plaque de cuivre sensibilisée par une couche d’iodure d’argent. Ils ont une bonne définition, mais ils sont difficiles à reproduire. Afin de les imprimer dans un livre, il faut les copier en utilisant le procédé lithographique.
Avec les photographies prises lors de son voyage en Orient, Joly devient le premier photographe québécois et aussi le premier au monde à photographier le Parthénon à Athènes en Grèce. Son voyage en Orient, du 21 septembre 1839 au 8 juin 1840, le mène tout d’abord en Italie, puis en Grèce, en Turquie, en Syrie, au Liban, en Terre Sainte et en Égypte. C’est un voyage mémorable mais éprouvant, que le professeur Jacques Desautels de l’Université Laval présente dans le livre Voyage en Orient (1839-1840). Journal d’un voyageur curieux du monde et d’un pionnier de la daguerréotypie. On y apprend les aléas du voyage : les conditions pénibles pour se rendre jusqu’à certains monuments, le poids du matériel à transporter, l’inexpérience du photographe, l’instabilité des produits chimiques sous les hautes températures d’Égypte, les conditions météorologiques changeantes, les punaises de lit et la peste. Pierre-Gustave revient donc affaibli de son voyage en Orient. Malgré cela, il croit à l’importance historique et documentaire de ses photographies.
Ce qu’il nous reste aussi, c’est la maison qu’il fit construire sur son domaine de Lotbinière à Pointe Platon en 1851. Ce magnifique lieu fait maintenant la promotion de l’horticulture en hommage à Henri-Gustave, le fils de Pierre-Gustave, reconnu pour sa passion de la nature et pour y avoir planté des milliers de noyers noirs. On ne sait pas si Joly de Lotbinière a fait d’autres photographies par la suite, mais on sait qu’il a fait construire une chambre noire à l’extérieur de sa maison à Pointe Platon. Si vous prévoyez visiter le domaine, vous verrez qu’elle existe toujours et qu’on la nomme « le laboratoire ».
Première photographie du Parthénon
D’après le carnet de note numéro II (2 en chiffre romain) de Joly de Lotbinière, qui donne des détails sur 35 prises de vue, cette photo (numéro II.9) aurait été réalisée le 9 octobre 1839. Il s’agit d’une vue du Parthénon prise sur le site de l’Acropole d’Athènes. Dans son carnet, il donne quelques détails historiques et architecturaux sur ce monument.
Avant d’entreprendre son périple, Joly de Lotbinière s’était beaucoup informé et il avait probablement en tête les illustrations de ses prédécesseurs. Toutefois, c’était la première fois que l’image du Parthénon était fixée par un procédé photographique. On peut dire qu’il s’agit d’une prise de vue classique pour l’époque qui montre l’ensemble du bâtiment.
La composition respecte la règle des tiers, soit le sol en avant-plan, le monument au centre et le ciel en arrière-plan. En favorisant le clair-obscur, le photographe force notre regard à traverser l’image de bas en haut vers la lumière. Cette vue photographique, à l’encontre de plusieurs illustrations et peintures néoclassique n’est pas idéalisée : le photographe n’a pas rajouté d’éléments, ni modifié la réalité. En présentant l’ensemble du bâtiment, il a choisi un cadrage respectant la culture visuelle de son époque.
Pierre-Gustave Joly de Lotbinière s’éteint à Paris le 18 juin 1865 et est enterré au cimetière de Montmartre.
Principales collections
- Centre canadien d’architecture
- Musée des beaux-arts du Canada
- Musée national des beaux-arts du Québec
01 Le Musée national des beaux-arts du Québec et le Centre canadien d’architecture possèdent un exemplaire du livre de Lerebours. La Bibliothèque nationale de France (BNF) offre la possibilité de voir le livre en ligne.
Bibliographie
Arqué, S. et Walter, M. (2018) The Grand Tour : The Golden Age of Travel / Le Grand Tour : l’âge d’or du voyage. Taschen.
Brown, E. (1999). Les premières images par daguerréotype au monde – le photographe canadien Pierre Gustave Gaspard Joly de Lotbinière. La revue des Archives nationales du Canada, 118, 22-29.
Caraion, M. (2003). Pour fixer la trace : photographie, littérature et voyage au milieu du XIXe siècle. Droz.
Corriveau, R. (1982). Joly de Lotbinière, photographe et voyageur. La photographie de voyage. Magazine OVO, 47, p. 3.
Horeau, H. (1841) Panorama d’Égypte et de Nubie avec un portrait de Méhémet-Ali et un texte orné de vignettes. Hector Horeau.
Joly de Lotbinière, P.-G. (2011). Voyage en Orient (1839-1840). Journal d’un voyageur curieux du monde et d’un pionnier de la daguerréotypie [texte établi par G. Aubin et R. Blanchet]. Presses de l’Université Laval.
Koltun, L. (dir.). (1985). Le cœur au métier : la photographie amateur au Canada, de 1839 à 1940. Archives publiques du Canada.
Le Guern, N. (2001), L’Égypte et ses premiers photographes. Étude des différentes techniques et du matériel utilisés de 1839 à 1869 [mémoire de maîtrise]. École des hautes études en sciences sociales.
Lerebours, N.-M.-P. (1841) Excursions Daguerriennes I : Vues et monuments les plus remarquables du globe.
Nadeau, J.-F. (2008, 7 juin). Le voyage, pèlerinage moderne. Le Devoir, p. F9.
Sise, H. (1951). The Seigneur of Lotbinière. His “Excursions daguerriennes”. Canadian Art, IX(1), 6-9.
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