L’autochrome : la révolution de la photographie couleur

Période

L’autochrome, breveté en décembre 1903 par Louis Lumière (1864-1948), est le premier procédé photographique en couleur sur plaque unique à être commercialisé. Cette invention suscite un immense enthousiasme chez les photographes amateurs, puisqu’elle réalise le rêve de Daguerre qui, lorsqu’il avait popularisé la photographie en 1839 suite aux travaux de Nicéphore Niepce (1765-1833), expérimentait déjà avec des poudres colorées. Louis Lumière, accompagné de son frère Auguste (1862-1954), est aussi l’inventeur du premier dispositif cinématographique. Cependant, c’est l’autochrome qu’il considérait comme sa plus belle invention.

Alors qu’auparavant, les couleurs étaient ajoutées manuellement aux images en noir et blanc — avec plus ou moins de réalisme —, ou étaient captées avec de complexes procédés à plusieurs plaques, les photographes peuvent désormais capter la couleur du monde grâce à un dispositif aussi simple que les films et plaques photosensibles. Ce procédé en transparent positif décompose la lumière en petits points de couleur distincts et juxtaposés, formés de grains de fécule de pomme de terre colorés et comprimés, disposés sur une émulsion photosensible supportée par une plaque de verre. Les grains de fécule colorés fonctionnent comme autant de minuscules filtres sélectifs (rouge, vert, bleu) au moment de l’exposition. Après le développement, la plaque est regardée comme une diapositive; les grains forment une mosaïque colorée, recomposant les nuances de couleurs comme autant de pixels. Un principe comparable s’applique à l’impression en demi-tons, dans laquelle plusieurs points colorés microscopiques superposés se confondent pour former une image, procédé qui est encore utilisé de nos jours.

En ce sens, l’autochrome imite un peu le fonctionnement de la rétine de l’œil, sorte d’écran biologique responsable du sens visuel chez les animaux et insectes. Par l’analyse en couleurs fondamentales, il devient alors possible de capturer tout le spectre des couleurs naturelles de la réalité. On peut voir dans le détail de l’image fournie en exemple comment cette invention faisait écho aux tendances de l’époque en peinture – l’impressionnisme, le post-impressionnisme et spécialement le pointillisme de Paul Signac (1863-1935) – qui, d’ailleurs, proposaient toutes une analyse comparable de la couleur par touches juxtaposées. Cet usage parmi les peintres, expliquant aussi en partie son succès auprès des photographes amateurs. Ceux-ci étaient généralement des artistes formés aux beaux-arts et plusieurs appartenaient au courant dit pictorialiste.

Les autochromes au Québec sont de la plus grande rareté et il est très difficile, voire impossible pour le moment, d’en retracer un seul dans les collections publiques. Cela tient à la fragilité des plaques de verre et à leurs émulsions faites de matière biologique, qui les rend très sensibles à la lumière et à l’humidité (spécialement dans les rouges) si elles ne sont pas entreposées dans les conditions adéquates. Or, nous savons que les premiers autochromes à avoir été réalisés au Québec, et peut-être même en Amérique du Nord, sont issus des lentilles de Marc Alfred Montminy (1859-1920), qui à la fin du printemps de 1907 rapporta 16 plaques de marque Autochrome Lumière de Paris.

Par une chance unique, cette histoire est relatée par le photographe dans les journaux : « Je suis arrivé à Québec le 21 juin et après quelques jours de repos, j’ai commencé à expérimenter. Ma première exposition a été sur des fleurs, des fruits et quelques livres reliés avec de riches couvertures de différentes couleurs, dans chaque cas, les couleurs sont ressorties magnifiquement. J’ai ensuite expérimenté les portraits. Le 10 juillet, j’ai fait une belle photo d’une dame[01], c’était certainement la première photographie en couleurs naturelles réalisée sur ce continent, que j’ai maintenant encadrée dans mon bureau. […] La robe de la dame est bleue, tout comme le chapeau avec des fleurs dessus, incluant deux belles roses. Le teint de la dame et les diverses nuances de couleur dans sa robe sont parfaits. C’était ma deuxième plaque pour les portraits et l’exposition a duré une minute[02]. »

Autrement, les autochromes que nous connaissons sont le fait de plusieurs photographes amateurs et professionnels comme Olive Edis (1865-1955), Frédéric Gadmer (1878-1954) et Helen Messinger Murdoch (1862-1956) de qui nous en reproduisons un ici. Pionnière de la photographie couleur, Murdoch devient en 1913 la première femme à faire le tour du monde avec l’autochrome. Membre de la Royal Photographic Society, où sont conservées 600 de ses plaques, et passionnée d’aviation et de pilotage, elle photographie les non moins célèbres Amelia Earhart et Charles Lindbergh. Cette image vraisemblablement captée à l’été de 1926 est représentative de l’époque où elle devient pilote. Elle est prise depuis un point de vue élevé de l’aile nouvellement construite du Château Frontenac, regardant vers l’ouest à la brunante estivale. L’année coïncide d’ailleurs avec le voyage de Frédéric Gadmer (1878-1954) pour les « Archives de la Planète ». Ce projet du banquier et philanthrope français Albert Kahn visait à documenter le monde en couleur, et constitue à ce jour le plus important fonds d’autochromes.

Principales collections

  • Musée départemental Albert-Kahn (Boulogne-Billancourt, France)
  • Victoria and Albert Museum (Londres, Royaume-Uni)
  • Institut Lumière (Lyon, France)

 

Sébastien Hudon

01 Probablement Mme Montmigny elle-même. Voir « La photographie en couleurs à Québec » dans L’Évènement, jeudi 1er août 1907, p. 6.

02 Traduction libre de : Montmigny, M.-A. (1907). The autochrome process. Wilson’s photographic magazine 44, 611.

Bibliographie

Arago, F. (1839). Rapport de M. Arago sur le daguerréotype, lu à la séance de la Chambre des députés, le 3 juillet 1839, et à l’Académie des sciences, séance du 19 août. Bachelier.

La photographie en couleurs à Québec. (1907, 1er août). L’Évènement, 6.

Okuefuna, D. (2008) Albert Kahn : Le monde en couleurs Autochromes 1908-1931. Chêne.