Femme, fille, sœur : le portrait au temps du studio Livernois

Livernois & Bienvenu (Élise L’Heureux, veuve Livernois, et Louis Fontaine, dit Bienvenu), Wilhelmine Livernois, Entre 1866 et 1873, Épreuve à l’albumine argentique, 10,5 x 6,2 cm (carte); 9,3 x 5,5 cm (image), Collection du Musée national des beaux-arts du Québec, Don de la collection Yves Beauregard, (2006.970), Photo : MNBAQ.
Visage tourné vers la lumière, le modèle dans cette photographie est soigneusement coiffé. Les cheveux frisés partiellement attachés de la très jeune femme annoncent qu’elle est encore célibataire à un moment où le rôle de chaque genre tend à être très délimité. Ses vêtements indiquent qu’elle provient d’une famille aisée. Elle aborde une expression digne. Cet air sérieux est typique d’une période où le portrait est surtout vu comme un moment solennel, un souvenir destiné à la postérité. De plus, à cette époque, il est courant de régir étroitement les émotions que son corps transmet; la retenue est valorisée. Agissant selon les codes sociaux, la jeune femme dans cette photographie se nomme Wilhemine Livernois.
Elle fera ses études chez les Ursulines et deviendra religieuse dans cette communauté en 1878. Elle est cadrée à partir de la moitié du bras, entre l’épaule et le coude, et pose de profil. Ce type de représentation se nomme un portrait en buste. De plus, le cadre est ovale. Ces choix montrent une connaissance des traditions en art. De fait, le cliché reprend les codes visuels du portrait en médaillon. Qui est la personne qui a fait la photographie ? Un membre de la famille de Wilhemine.
Installés à Québec, les Livernois dirigent leur studio pendant trois générations. Ce sont les parents de Wilhemine, Jules-Isaïe Benoît dit Livernois et Élise L’Heureux, qui fondent l’entreprise. De 1854 à 1856, leur commerce offre des services de daguerréotypiste. Ils se spécialisent uniquement en photographie à partir de 1857. Selon plusieurs, c’est Élise L’Heureux qui initie son mari au daguerréotype. Celui-ci part en Europe en 1863 pour se perfectionner et il décède subitement en 1865.
Élise L’Heureux prend alors la tête de l’entreprise. Elle s’associe, l’année suivante à celui qui deviendra son gendre quelques mois plus tard : Louis Fontaine dit Bienvenu. Le fils d’Élise, Jules-Ernest Livernois, se joint au studio en 1873. Les commandes de la compagnie lui sont confiées rapidement et il les conserve jusqu’en 1900. Il cède dès lors le commerce, dont les services se sont diversifiés, à son fils Jules. L’entreprise fait faillite en 1979, après 125 ans d’activités. Elle aura réalisé plus de 300 000 négatifs qui documentent le quotidien de Québec et les lieux touristiques de l’est de la province.
Le portrait de Wilhemine est pris entre 1866 et 1873, alors que sa mère est à la tête du studio. Sous la gouverne d’Élise L’Heureux, qui est une photographe accomplie, le commerce est florissant. La carte de visite est un des formats les plus populaires. C’est ce format, déjà produit alors que Jules-Isaïe est encore en vie, qui est utilisé pour la photographie de Wilhemine. La carte de visite est brevetée en 1854 par le Français Eugène Disdéri. Elle est extrêmement populaire tout au long de la décennie 1860. Pour obtenir des cartes de visite, les photographes emploient des appareils à multiples objectifs, ce qui leur permet d’obtenir plusieurs négatifs sur une même plaque. Ils fournissent ainsi plus rapidement et à moindre coût plusieurs épreuves. La carte de visite subit peu à peu la concurrence du format cabinet – plus grand, prestigieux et onéreux – mais reste populaire jusqu’au début du XXe siècle.
Durant les années qui nous occupent, les familles bourgeoises et celles appartenant à la classe moyenne collectionnent les cartes de visite, les échangent et les placent dans des albums. Elles représentent le plus souvent des portraits, de proches ou de célébrités locales ou internationales. Puis, un peu moins couramment, des paysages touristiques, des vues de ville et des reproductions d’œuvres d’art Le studio Livernois produit tous ces types de représentations. Cependant, comme la majorité des studios, le portrait reste le principal gagne-pain de l’entreprise et ce, peu importe le format.
Réalisé par une famille où la photographie joue un rôle majeur et probablement destiné à cette même famille, le portrait de Wilhelmine est caractéristique de son temps. Il s’inscrit dans la pratique des Livernois qui photographient régulièrement les leurs. L’image de Wilhelmine permet de se plonger dans les activités du principal studio francophone québécois du XIXe siècle, dont la cofondatrice marque l’histoire des femmes photographes au Québec. Enfin, ce portrait est aussi intéressant parce qu’il respecte les normes visuelles de la féminité en cette deuxième moitié du XIXe siècle, tout en présentant un sujet actif. Wilhelmine ne s’offre pas complètement au regard. Une partie de son visage, comme le nom exact de la personne qui l’a photographié, reste inaccessible.
Principales collections
- Archives nationales à Québec
- Musée national des beaux-arts du Québec
- Musée de la civilisation
Plusieurs institutions au Québec possèdent également des œuvres du studio. Un bon point de départ pour la recherche de ces photos est la base de données Artefacts Canada.
Bibliographie
Béland, M. (2009). La dynastie Livernois. Continuité, 122, 39-44.
Desrochers, L. (2008). Elles ont brassé des affaires. Cap-aux-Diamants, 95, 16-19.
Hudgins, N. (2020). The gender of photography: How masculine and feminine values shaped the history of nineteenth-century photography. Routledge.
Lessard, M. (1987). Les Livernois, photographes. Musée du Québec.
Béland, M. (2009). La dynastie Livernois. Continuité, 122, 39-44.
Desrochers, L. (2008). Elles ont brassé des affaires. Cap-aux-Diamants, 95, 16-19.
Hudgins, N. (2020). The gender of photography: How masculine and feminine values shaped the history of nineteenth-century photography. Routledge.
Lessard, M. (1987). Les Livernois, photographes. Musée du Québec.