Alfred Chalifoux, Thomas Coffin Doane et l’identité canadienne-française : un beau souvenir du Canada

Période

Êtes-vous capable d’identifier les personnages représentés par les quatre enfants costumés de cette image ? De droite à gauche se trouvent : M. Loiselle en Saint Jean-Baptiste, Jean Damien Rolland en chef « indien », Théodore Deschambault en Jacques Cartier ainsi que Charles Chaput en zouave armé. Ces déguisements ont été conçus par le tailleur montréalais Alfred Chalifoux, l’homme à la médaille qui est complètement à gauche, pour les célébrations de la Saint-Jean-Baptiste de 1855. Chalifoux est aussi celui qui commande cette image afin de qu’elle soit remise à l’impératrice française Eugénie à un moment où les relations entre la France et le Canada se ravivent. 

La Capricieuse est le premier navire de guerre français à s’arrimer dans un port canadien depuis la Conquête, en 1763. Son passage est rendu possible grâce au rapprochement entre l’Empire britannique et la France. Il signale la reprise des relations commerciales et culturelles directes entre l’Empire français et ses anciennes colonies d’Amérique du Nord. L’arrivée de La Capricieuse est jugée comme un moment historique par les Canadiens français de l’époque.

S’inscrivant dans ce contexte, le daguerréotype Un beau souvenir du Canada comprend plusieurs symboles qui reflètent la perception complexe que les Canadiens français ont d’eux-mêmes durant cette période. Ainsi, le Saint Jean-Baptiste témoigne de l’attachement à la foi catholique. Cette dévotion est aussi présente dans le texte fixé à la doublure de la boîte où on peut lire que : « les fêtes nationales de Montréal rappellent tous les souvenirs religieux et patriotiques des Canadiens Français ». Dans ce même texte, Jacques Cartier est identifié comme celui qui apporta les évangiles en sol canadien. Cartier évoque également, évidemment, les origines françaises des Canadiens français.

Toujours selon le texte, l’Autochtone est le chef qui accueille Cartier à Hochelaga. Visuellement, cette inclusion vient avec les stéréotypes typiques du XIXe siècle : peau foncée, plumes, flèches, etc. Le choix de la rencontre à Hochelaga peut être compris comme une façon de faire de Montréal un lieu clé de la colonisation. Le zouave, de son côté, réfère à la guerre de Crimée. Cette guerre mène à l’alliance anglo-française, une des raisons de la bonne entente entre les deux empires qui permet l’entrée officielle de La Capricieuse dans les eaux du Canada. 

Le daguerréotype est placé dans un boîtier qui doit le protéger dès sa création. Cet écrin est fait de velours vert et d’un cuir embossé habituellement utilisé en reliure, le chagrin. Il était entouré d’une écorce de bouleau qui a aujourd’hui disparu. Trois motifs encadrés de festons et brodés au poil d’orignal et aux piquants de porc-épic ornaient cette écorce : un castor, une branche d’érable et une rose. Le castor et la feuille d’érable sont des symboles des Canadiens français. La feuille d’érable est devenue un emblème de l’identité canadienne-française grâce à la Société Saint-Jean-Baptiste à laquelle elle est le plus associée. La rose souligne l’attachement à l’Angleterre. Le bouleau et les techniques de broderie sont des emprunts directs aux traditions autochtones. D’une part, cette appropriation est un transfert à travers lequel les Canadiens français revendiquent des racines sur ce continent équivalentes à celles des Premières Nations. D’autre part, elle s’inscrit dans des effets de mode puisque ce type d’artisanat est populaire à l’époque. Un second texte, qui a disparu et qui était sur une plaque en argent fixée à la boîte, expliquait le contexte de création du daguerréotype. 

En somme, le daguerréotype et ses boîtiers représentaient aussi bien des aspirations culturelles qu’une affirmation identitaire et politique. On y retrouve également une tension entre identité nationale et expérience du pluralisme culturel, une préoccupation centrale de la mémoire collective du Québec jusqu’à ce jour. L’image coloriée à la main, en fait en outre un objet de luxe. À ceci s’ajoute le prestige du photographe qui l’a prise : Thomas Coffin Doane (1814-1896) dont le nom est inscrit sur le passe-partout. Doane est natif de la Nouvelle-Écosse. Il est d’abord formé comme peintre. Il devient l’apprenti puis l’associé du premier daguerréotypiste canadien William Valentin, en 1842. Le studio de Doane a pignon sur rue à Montréal de 1846 à 1865. Le photographe déménage par la suite à New York. Lorsque Chalifoux passe sa commande, il sa réputation est établie. Daguerréotypiste par excellence du gouverneur général et des élites, il vient de remporter une mention honorable à l’Exposition universelle de Paris en partenariat avec H. J. Palmer.

Principales collections

  • Musée de la Nouvelle-Écosse
  • Musée McCord Stewart

 

Marjolaine Poirier

Bibliographie

(1844, 4 septembre). Le Pays, 2.

Cloutier, N. (1980). Les disciples de Daguerre à Québec, 1839-1855. Journal of Canadian Art History, 5(1), 33-38.

Létourneau, J. (2000). Passer à l’avenir : Histoire, mémoire, identité dans le Québec d’aujourd’hui. Boréal. 

Schwartz, J.M. (2004). Un beau souvenir du Canada : object, image, symbolic space. Dans E. Edwards et J. Hart (dir.), Photographs Objects Histories : On the Materiality of Images. Routledge.