La section photographique du Service de ciné-photographie du Québec (1940-1961)

Paul Carpentier, Village de Senneterre en Abitibi, 1945, Négatif à la gélatine argentique, 10.2 x 12.7 cm (4 x 5 po), E6,S7,SS1,P28188, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Québec. CC BY-NC-ND 4.0
Pendant la Première Guerre mondiale, les États belligérants utilisent les technologies visuelles pour mobiliser la population dans l’effort de guerre. Une fois la paix advenue, ces efforts continuent, cette fois en faveur de l’expansion économique et de la modernisation technique. C’est dans cette perspective que sont établies, au Québec, les premières cinémathèques liées à des ministères au début des années 1920. Leur regroupement en une organisation centralisée en 1940 marque la naissance du Service de ciné-photographie du Québec (SCP).
Le SCP est une agence audiovisuelle gouvernementale active de 1940 à 1961. En plus d’agir à titre de cinémathèque, il possède une section photographique dont la collection totalise un peu plus de 100 000 images. Par sa taille, cette collection se classe parmi les plus grandes entreprises de photographie gouvernementale de son époque, avec l’américaine Farm Security Administration (1935-1943, 176 600 images) et le Service photographique de l’Office national du film du Canada (1941-1971, 250 000 images).
Alors que les images de ces deux derniers projets sont l’œuvre de photographes professionnels parmi les plus reconnus de leur génération, les photographies du SCP, au contraire, proviennent à 80 % du travail de 500 fonctionnaires photographes dont une vaste majorité sont des amateurs (parmi les 20 % qui sont des professionnels, se trouvent notamment Neuville Bazin ou Gabor Szilasi). La prépondérance des photographes amateurs s’explique par le contexte de création du SCP. L’organisme, par la loi, détient la possession exclusive du matériel photographique au sein de l’appareil de l’État québécois. Toute photographie prise par un fonctionnaire dans le cadre de ses fonctions doit être remise au SCP, peu importe l’usage prévu. C’est pourquoi les sujets sont variés et comptent la voirie, l’agriculture, la colonisation, le tourisme, la foresterie, les mines et l’administration publique. Quelques sujets surprennent par leur moindre importance : les villes, l’industrie urbaine, la vie politique, la religion. Comment expliquer ces choix de représentation?
Le corpus du SCP résulte de l’accumulation de petites commandes sans lien les unes avec les autres. Il ne constitue pas une collection amassée consciemment en vue d’un objectif planifié de communication publique. Cependant, une vision générale anime le projet photographique du SCP : les images représentent avant tout les activités liées au développement économique des campagnes et des régions-ressources.
Prenons pour exemple celle prise en 1945 par Paul Carpentier, photographe professionnel et chef de la section de photographie du SCP. Elle montre le village de Senneterre, qui a été fondé lors de la première vague de colonisation en Abitibi au début du XXe siècle et officiellement incorporé en 1919. Il s’agit d’une représentation typique d’un village de colonisation prospère : la route est bordée de part et d’autre de nombreux bâtiments de ferme dont certains sont en construction. La présence de vaches indique que les premiers colons se sont suffisamment enrichis et équipés pour pouvoir entretenir un troupeau de bovins.
Les mécanismes visuels à l’œuvre dans cette image sont clairs. La prise de vue à hauteur humaine jette un regard où, rapidement, l’horizon est bloqué par la multiplicité des constructions, ce qui laisse imaginer un village bien peuplé. Le fait que le clocher de l’église ne soit pas visible à l’avant-plan accentue l’effet d’un village plus étendu que ce que montre la photo, preuve du succès de la colonie.
Cette représentation de la prospérité en contexte de colonisation symbolise d’abord le succès de la politique gouvernementale de rénovation rurale. De manière encore plus significative, la présence de vaches et d’une route bien entretenue indique que les colons ont accès à un réseau de distribution permettant d’écouler leur production de viande ou de lait. L’image sous-entend donc que les colons ont définitivement quitté la phase de défrichage et la quasi-autarcie qui l’accompagne, pour se connecter avec le reste de la province par des infrastructures de transport et des institutions de portée provinciale. En somme, la route et les vaches renforcent l’idée que les colonies font désormais pleinement partie du milieu rural de la province.
Dans les années 1940, ce n’est plus l’Église catholique qui organise les campagnes; c’est l’État du Québec et sa puissante machine administrative. À Senneterre comme ailleurs, le ministère des Transports et le ministère de l’Agriculture sont responsables respectivement des routes et de la distribution de la production agricole. La taille de l’État provincial augmente à une vitesse sans précédent, multipliant par six l’effectif de ses fonctionnaires entre 1940 et 1961. Durant ces deux décennies, critiques pour la modernisation du Québec, les photographies du SCP témoignent des changements économiques et sociaux majeurs que vit la population, en particulier celle des milieux ruraux.
Les photographies du SCP offrent une vue sans pareille sur les activités de l’État québécois dans une période cruciale de sa modernisation. Le rapport au territoire y est documenté de manière très orientée, en se concentrant sur les campagnes et les régions-ressources. Les enjeux qui animaient les débats d’alors sont toujours les mêmes aujourd’hui : rapport entre les populations locales et les infrastructures, luttes pour le contrôle des ressources naturelles, conflit entre la volonté de développement et le désir de préservation. Les images SCP offrent un regard rétrospectif sur ces débats.
Principales collections
- Archives nationales à Québec
- Archives nationales à Montréal
Bibliographie
Daniel, P. (dir.). (1987). Official Images: New Deal Photography. Smithsonian Institution Press.
Gaudreau-Lalande, S. (2023). Une rhétorique du banal. Le Service de ciné-photographie du Québec et la modernisation rurale, 1940-1961 [thèse de doctorat, Concordia University].
Payne, C. (2013). The Official Picture: The National Film Board of Canada’s Still Photography Division and the Image of Canada, 1941-1971. McGill-Queen’s University Press.
Pelletier, A. (1976). Les archives de l’Office du film du Québec. Ministère des Communications.
Pelletier, A. (1994). L’aventure de l’Office du film du Québec. Cap-aux-Diamants, 38, 44-47.
Robert, M.-A. (2013). Dans la caméra de l’abbé Proulx. Septentrion.
Robert, M.-A. (2024). L’Office du film du Québec: le cinéma au service de l’État et de ses citoyens, 1961-1976.
Daniel, P. (dir.). (1987). Official Images: New Deal Photography. Smithsonian Institution Press.
Gaudreau-Lalande, S. (2023). Une rhétorique du banal. Le Service de ciné-photographie du Québec et la modernisation rurale, 1940-1961 [thèse de doctorat, Concordia University].
Payne, C. (2013). The Official Picture: The National Film Board of Canada’s Still Photography Division and the Image of Canada, 1941-1971. McGill-Queen’s University Press.
Pelletier, A. (1976). Les archives de l’Office du film du Québec. Ministère des Communications.
Pelletier, A. (1994). L’aventure de l’Office du film du Québec. Cap-aux-Diamants, 38, 44-47.
Robert, M.-A. (2013). Dans la caméra de l’abbé Proulx. Septentrion.
Robert, M.-A. (2024). L’Office du film du Québec: le cinéma au service de l’État et de ses citoyens, 1961-1976.