Richard Baillargeon : point de fuite

Période

La vision humaine est particulièrement sensible aux mouvements horizontaux, plus qu’elle ne l’est aux mouvements verticaux. C’est pourquoi le télémètre d’une caméra permet de faire efficacement la mise au point en superposant deux images sur l’axe horizontal. Notre regard sur le monde reflète les mouvements de tête et d’yeux que notre corps nous permet, comme le montre notre habitude de jeter un coup d’œil panoramique en arrivant à un endroit qui nous est inconnu. Le travail de Richard Baillargeon interroge les rapports entre le voyage, le point de vue, l’individu et les images. Lyrique, introspective, mais en quête d’expériences et de rencontres, sa production explore les déplacements de toutes formes sur la ligne d’horizon.

Lorsque Baillargeon participe à ses premières expositions au milieu des années 1970, la photographie est à un point d’inflexion. Alors que le documentaire social donne au médium une visibilité accrue auprès du grand public, le milieu des arts visuels ouvre la voie à la notion de photographique lors d’expositions comme Camerart (1974). Bien que ne se définissant pas comme des photographes, les artistes tentent d’intégrer à leur pratique des réflexions sur l’empreinte, la séquence ou l’instant – concepts que la photographie a mis à l’avant-plan. Le photographique se comprend ainsi comme cet ensemble de notions et de principes que les artistes transposent dans leurs œuvres. Le travail des photographes se trouve alors à faire partie d’un contexte qui dépasse celui du reportage ou des expérimentations plastiques, et qui remet en question la spécificité du médium que le modernisme avait prôné.

Né en 1949 à Lévis, Baillargeon débute son parcours intellectuel comme anthropologue. Il conclut ses études à l’Université Laval par une maîtrise sur l’habitation et l’espace domestique des Inuit, mais ce sera cependant le lieu de la photographie qui l’occupera pour le reste de sa carrière. Membre fondateur de VU, Centre d’animation et de diffusion de la photographie, il participe dès 1981 à l’organisation de nombreuses expositions et publications. Elles feront du centre un catalyseur pour la scène québécoise, comme le montre sa première publication en 1985, le catalogue de l’exposition FRAGMENTS (1984), rassemblant des figures déjà établies comme Gabor Szilasi, John Max et Michel Campeau, et soutenant des artistes alors en début de carrière comme Denis Farley ou Sylvie Readman. Baillargeon y contribue avec la série Rebours (1983), dans laquelle il explore par le texte et l’image la mémoire du domicile familial et le thème du départ. Œuvre de fiction néanmoins habitée par la mémoire, elle s’inscrit dans la trajectoire subséquente de Baillargeon qui pose un regard réflexif sur la distance à soi-même, la rencontre de l’autre, les déplacements et la confrontation entre les cultures. Il poursuivra son travail d’animation du milieu et d’enseignement entre autres comme directeur du programme de photographie du Banff Centre for the Arts (1989-1994), puis comme chargé d’enseignement et professeur à l’École des arts visuels de l’Université Laval. Il produit également bon nombre de textes critiques sur des artistes contemporains et sur les questions du regard, du paysage et de la pédagogie.

La séquence Transit Commedia (1984-1985) pose la question du rôle du photographe, entre acteur et témoin du monde qui l’entoure, puis D’Orient (1988-1989), celle du rapport entre les images subjectives et objectives. Cette dernière, réalisée à l’occasion d’un séjour en Égypte, combine des photos panoramiques à une narration qui dialogue avec le Voyage en Égypte de Maxime Du Camp et Gustave Flaubert, et qui s’intéresse à l’expérience intime du voyageur. La photographie y côtoie la culture visuelle, et le kaléidoscope des médias imprimés se retrouvera également dans des œuvres subséquentes comme Cahier roman (2000) ou Marques de l’exsangue (2006-2008). Les nombreuses œuvres de Baillargeon s’intéressent ainsi à l’espace élargi dans lequel la photographie post-moderne évolue. Polyptyques, mosaïques et autres assemblages analogiques ou numériques font foi de la diversité avec laquelle la photographie et le photographique s’interpellent mutuellement.

Il serait paradoxal de définir un point d’origine fixe à la pratique d’un voyageur, mais la séquence « Le musée », tirée de Transit Commedia, résume plusieurs aspects importants de la pratique de Baillargeon. Étant disposées de manière horizontale, les photos constituent une vue panoramique d’une salle d’exposition de sculptures. La continuité entre les poses n’est pas parfaite, et certains éléments se retrouvent sur deux images, mais notre œil en fait facilement l’omission au profit d’un sentiment d’espace unifié. La séquence peut se lire de manière temporelle, comme si nous balayions graduellement du regard la pièce, mais aussi comme une mosaïque montrant un seul instant, les statues renforçant le sentiment d’arrêt sur image. La tension entre séquence et tableau est mise en parallèle avec une autre tension entre photographe et sujet. Non seulement Baillargeon se met-il en scène comme s’il était un simple visiteur du musée, mais il tient dans ses mains un appareil photographique. De quelle image Baillargeon est-il le photographe ?

Principales collections

  • Musée national des beaux-arts du Québec
  • Musée des beaux-arts du Canada
  • Musée régional de Rimouski
  • Collection Prêt d’œuvres d’art, Musée national des beaux-arts du Québec
  • Banque d’œuvres d’art du Conseil des Arts du Canada
  • The Walter Phillips Gallery (Alberta)
  • The Banff Centre Library (Alberta)
  • Bibliothèque nationale du Canada
  • Bibliothèque centrale de la ville de Québec

 

Par l’équipe de rédaction

Bibliographie

En plus de son parcours et de ses œuvres, on trouvera de nombreux textes critiques sur le site Web de l’artiste.

Baillargeon, R. (1979). Habitation, maison et espace domestique chez les Inuit du Québec arctique [mémoire de maîtrise]. Université Laval.

Baillargeon, R. (1991). Comme des îles. VU.

Baillargeon, R. (2023). voyagements, parcours, passages et dérive des images. Les Éditions Cayenne.

Baillargeon, R., et Langford, M. (dir.). (2022). Le territoire = The Territory. Artexte.

Baillargeon, R., Noelting, G., Dorais, L.-J. et Saladin d’Anglure, B. (1977). Aspects sémantiques et structuraux de la numération chez les Inuit. Études/Inuit/Studies, 1(1), 93-128.

Bédard, M. (dir.). (2009). Le paysage: un projet politique. Presses de l’Université du Québec.

Campeau, M. (1988). Les tremblements du cœur. Éditions Saint-Martin.

Campeau, S. (2000). Le cadre, la scène, le site : panorama de la photographie québécoise contemporaine. Occurrence.

Dessureault, P. (2013). Fragments pour une histoire: Anticoste de Richard Baillargeon. Ciel Variable, 94, 46-52.

FRAGMENTS : Photographie actuelle au Québec. (1985). VU.

Langford, M. (2001). La méthode et l’extase. Occurrence.

Mathieu, M.-C. (dir.). (2014). L’Objet. Les Presses de l’Université Laval.

Nadeau, L. (1994). Richard Baillargeon Champs / la mer : L’anonymat de l’âme. CV Photo, 28, 18-40.

Paquet, B. (dir.). (2010). Faire oeuvre: Transparence et opacité. Les Presses de l’Université Laval.