Au tournant des années 1970, beaucoup de photographes adoptent des positions engagées et critiques face à leur pratique. Ils revendiquent leur liberté créatrice et leur autonomie professionnelle face aux institutions et aux marchés. Ces derniers tentent pour leur part de s’adapter au flot démographique sans précédent d’une génération née après la guerre qui vient d’atteindre l’âge adulte. Nourris des discours ambiants en sociologie l’art et des médias comme ceux de Pierre Bourdieu et Marshall McLuhan, séduits par la contre-culture et ses revendications utopiques, les artistes tentent d’utiliser les pouvoirs de l’image comme outils de transformation du monde. Il en résulte un art photographique conceptuel, plutôt que documentaire, une tendance dans les galeries et lieux dits « underground ».

Né à Montréal, Michael Flomen est un artiste et photographe autodidacte. Après un voyage d’une année aux États-Unis puis en Europe, il revient au Canada en 1972. C’est à ce moment, que la visite fortuite de l’exposition inaugurale de la Galerie du Centaur jouera un rôle déterminant dans le développement de sa carrière. Organisée par William Ewing, anthropologue de formation, ce dernier vient tout juste d’effectuer un virage radical vers les arts. Après une brève enquête auprès du milieu, il choisit d’exposer les photographes Charles Gagnon, Gabor Szilasi, Normand Grégoire, John Max et Michel Saint-Jean. Suivant l’évènement, Ewing met Flomen en contact avec les exposants et leur entourage, l’introduisant aussi à ceux qui deviendront ses mentors et amis intimes, les photographes et artistes Guy Borremans et Vittorio Fiorucci.

Flomen travaille alors comme laborantin en chambre noire, devenant l’imprimeur – parfois en très grand format – de photographes tels que Lynne Cohen et Sam Tata. Il œuvre également comme photographe commercial concomitamment à sa pratique personnelle. À cette époque, il réalise des photographies de rue à l’aveugle en utilisant une caméra portée au nombril. Prenant ainsi des images dérobées, Flomen se soucie peu du cadrage. Son travail photographique tire une valeur conceptuelle de cette démarche, concentrée sur des sujets banals dont les actions observées en secret et transformées en énigmes visuelles. Il en tire son premier livre Details (1980).

Au début des années 1990, lors d’une période transitoire où il s’intéresse particulièrement à la neige comme matériau multiforme au potentiel graphique étonnant, Flomen passe au négatif de grand format. Il crée des paysages enneigés, aux limites de l’abstraction et que l’on qualifie de « lunaires ». À partir de 1999, il amorce sa transition vers la photographie sans appareil pour réaliser des photogrammes expérimentaux d’un nouveau genre. À l’aide d’une boîte opaque, il expose directement ses négatifs à la délicate lueur des lucioles qu’il y fait déambuler. Ces images qui feront sa renommée sont aussi pionnières et uniques pour le genre expérimental.

Cherchant à approfondir son intuition et sa relation avec les éléments naturels, il développe au même moment d’autres suites de photogrammes, cette fois-ci sur papier de grand format.  L’eau des rivages, la neige et la glace en hiver, les sédiments et éléments vivants du monde aquatique (œufs de grenouilles, alevins, insectes ou algues), lumières du ciel nocturne (lunes et astres) projetées au travers les arbres en été sont tous mis à contribution.

Au cours des années 2000, Flomen expérimente de nouvelles techniques, écrasant physiquement le papier ou exposant des plaques de verre photosensibles artisanales in situ. Toute la richesse et la complexité du monde naturel sont alors conviées à une véritable symphonie graphique faite de lumière, d’ombres, de déchirures, de pliures ou d’effets de flashs. Parfois monochrome, parfois en couleur, chaque photogramme est unique comme dans le monde pictural. L’évènement consigné devient lui-même unique et l’accident est alors magnifié.

Les photogrammes de Michael Flomen font maintenant partie de plusieurs grandes collections au Canada et à l’international. À ce jour, son parcours illustre l’évolution vers une photographie de plus en plus interpénétrée des éléments et évènements naturels, dont il révèle la beauté cachée avec sensibilité et émotion. Grâce à son travail, la nuit elle-même devient une chambre noire aux dimensions illimitées où se lovent les lueurs discrètes des lucioles et toute la ménagerie de son cabinet de curiosités nocturne.

L’œuvre présentée ici est caractéristique de la production de format monumental que l’artiste amorce dans les années 2000. Elle fut réalisée dans les nuits suivant le tsunami qui provoqua la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon (d’où elle tire son titre). Tandis que nous sommes happés par son format, les nuées de points blancs suggèrent les retombées radioactives, et l’œuvre interroge l’incertitude entretenue par les gouvernements et leurs réponses improvisées à la catastrophe. Réalisée de nuit, Fallout no. 3 porte manifestement les traces de la brûlure lunaire au coin supérieur gauche : l’ombre projetée venue d’arbres prend alors l’allure d’une photographie aux rayons X. Du reste, cette œuvre rappelle l’effet des « célestographes » du dramaturge suédois August Strindberg qui, dans les années 1890, laissait de tout petits ferrotypes sur le bord d’une fenêtre pour être exposés de nuit à la lumière des étoiles et à la rosée.

Principales collections

  • Musée des beaux-arts du Canada
  • Musée national des beaux-arts du Québec
  • Beaverbrook Art Gallery
  • J. Paul Getty Museum
  • Los Angeles County Museum of Art
  • Philadelphia Museum of Art
  • Whitney Museum of American Art.

 

Sébastien Hudon

Bibliographie

Flomen, M., Hunt, B., Rodney, S., Mclean, S., Langford, M., Faraj, N., Gander, F., Mavrikakis, N. et Heckert, V. Michael Flomen. Photograms and Photographs. 2020-1970. Hirmer Publishers.