Transcanadienne Sortie 109

Figure 1
Couverture de Transcanadienne Sortie 109

Figure 2
Jean Lauzon (1953-), Sortie de l’usine, Drummondville, 1977. Photographie. Collection du photographe.

Figure 3
Normand Rajotte (1952-), Terminus d’autobus, Drummondville, 1977. Photographie. Collection du photographe.
Au Québec, dans les années 1970, et plus particulièrement à Montréal, plusieurs regroupements se forment pour interroger les réalités sociales[01]. À Drummondville, le groupe Prisme[02] se forme en 1975. À cette époque, le milieu photographique montréalais est particulièrement actif. Cette effervescence se traduit par la création de deux revues – Foto-Canada (1967) et le magazine OVO (1970) – ainsi que par l’ouverture de plusieurs galeries dédiées à la photographie, principalement les Galeries Perception (1971), Centaur/Optica (1972), OVO (1974), Yajima (1974), Photo-Progression (1975), Photogramme (1980) et Dazibao (1980)[03]. Le magazine OVO a publié une revue principalement axée sur la photographie documentaire et historique entre 1970 et 1988, en plus de faire paraître trois livres : Les prisons de Pierre Gaudard, en 1977; Transcanadienne Sortie 109, en 1978; Apparence, en 1981.
Tout d’abord, comment ce livre, Transcanadienne Sortie 109 (fig. 1), est-il né ? Après quelques années d’expositions de groupe, trois photographes du collectif Prisme sentent le besoin de travailler ensemble sur un même thème. Les instigateurs du projet sont Jean Lauzon et Normand Rajotte, avec lesquels a collaboré Pierre Rondeau. C’est ainsi que l’idée de représenter la réalité des habitants d’une ville ouvrière typique de taille moyenne au Québec s’est imposée. Le sujet étant suffisamment vaste, il y avait matière à réaliser un portrait collectif de Drummondville, tant du point de vue économique, social que culturel. En moins de deux ans, les photographes ont tenté de tout documenter avec, pour résultat, un instantané de la vie d’une ville. Ainsi sont représentés les usines et ses ouvriers, la sortie de l’usine, les petits commerces, les restaurants, le marché public, la fête foraine, la foire agricole, les bars et les discothèques, les manifestations, les enfants, les célébrations de la Saint-Jean-Baptiste, les musiciens, le théâtre, le cirque, le salon de l’auto modifiée, les sports, la Chambre de commerce, le camping, la chasse, le bingo, les anciens combattants et les cadets, la vente-trottoir, le centre d’achat, le défilé de mode, la procession de la Fête-Dieu, l’hôpital, la cérémonie annuelle aux morts, la démolition de maisons, l’architecture, l’hiver, la messe de minuit et la fête de Noël.
Pourquoi ce titre ? Il faut savoir qu’au Canada, dans les années 1970, on utilisait le système anglais des milles pour les distances et que la sortie de l’autoroute transcanadienne vers Drummondville était alors la sortie 109. Maintenant, nous fonctionnons avec le système universel des kilomètres et la sortie principale porte maintenant le numéro 177.
Les livres Disraeli et Transcanadienne Sortie 109[04], font partie des livres québécois qui documentent la réalité sociale d’une ville ou d’une région. Mentionnons aussi Québec et l’Île d’Orléans de Mia et Klaus (1968) ; Québec instants partagés de Éric Côté (2008) ; Charlevoix 1970 de Gabor Szilasi (2012); Goose Village de Marisa Portolese (2023) et Résilience 1970 de Mathieu L’Heureux-Roy (2024).
En 2028, ce livre phare de la photographie québécoise aura 50 ans. La série originale des œuvres de Transcanadienne Sortie 109 est conservée au Musée national des beaux-arts du Québec, tandis que le Musée des beaux-arts de Montréal possède des retirages de qualité.
Réception critique
En 2014, dans un article sur le livre photographique, l’historien Alexis Desgagnés place Transcanadienne Sortie 109 parmi les cinq livres iconiques de cette période, en plus de le qualifier de « puissant ». Ce livre est donc important dans l’histoire de la photographie au Québec, car à cette époque les publications photographiques à caractère critique ou artistique étaient rares, difficiles à produire, et leur financement n’était pas systématique. Lors de la publication du livre, Clément Trudel du journal Le Devoir écrivait : « Drummondville, ville ouvrière. Portrait sans retouche, un peu chargé. », tandis que son confrère René Viau y voit « une réflexion sans complaisance sur Drummondville et ses habitants ». Avec le recul, on comprend que les perceptions des médias peuvent changer de façon importante entre deux époques.
Les auteurs
Actuellement, l’activité photographique de Jean Lauzon se concentre d’une part sur la production d’œuvres personnelles autour de la photographie de rue et, d’autre part, sur un travail de diffusion de la photographie par l’édition de livres. Il a agi comme animateur dans son milieu, entre autres par l’organisation en 1982 d’un stage de photographie international avec Guy Le Querrec, de l’agence Magnum, et par la fondation du seul musée de la photographie au Québec, le Musée populaire de la photographie[05], qu’il a dirigé de 2006 à 2016. Il détient un doctorat en sémiologie et sa thèse, publiée aux Presses de l’Université d’Ottawa, s’intitule La photographie malgré l’image.
La démarche de Normand Rajotte, elle, est plus introspective et orientée vers la nature. Les séries qu’il réalise sont évocatrices de sa nouvelle orientation : Dans les coins oubliés, à la recherche des dieux tranquilles (1983-1986) ; Des après-midi sans bruit (1989-1990) ; Entrer dans les terres (1997-1998). Une publication, Marcher sa trace aux éditions Les 400 coups témoigne des trois séries. Depuis 1997, il explore la forêt et ses sous-bois en Estrie, d’où s’articule sa vision intimiste du territoire. Des publications récentes, Comme un murmure (2015) et Carcasse (2022) témoignent de ses interrogations sur la nature.
Jean Lauzon
C’est dans les années 1970 que s’amorce la pratique photographique de Jean Lauzon. C’est aussi dans cette période qu’est publié le livre Transcanadienne Sortie 109 par le collectif Prisme. Dans cette séquence de quatre photographies, extraite du livre, on voit deux jeunes enfants se précipiter sur leur père qui vient de terminer sa journée de travail (fig. 2). On remarque ici le bonheur des enfants et la fierté du père vis-à-vis de ses enfants. Lauzon excelle dans ce type d’image captée sur la rue, il sait choisir le bon moment et nous surprendre avec un mélange d’humanité et d’efficacité photographique. La force de cette image réside dans la séquence : une seule image n’aurait pas eu le même effet.
Normand Rajotte
Normand Rajotte amorce lui aussi sa pratique photographique dans les années 1970. Lorsque paraît, dans Transcanadienne Sortie 109, un essai dont il est coauteur sur le quotidien de Drummondville, il prépare son départ pour Montréal afin de poursuivre sa carrière de photographe. Il fera deux autres séries documentaires : Les enfants de mon quartier. Centre-Sud (1978-1979) et Expositions agricoles (1980-1981) avant d’orienter sa production artistique vers le paysage au début des années 1980.
Dans cette image du terminus d’autobus de Drummondville (fig. 3), le plan frontal est divisé en trois parties : un premier plan sombre avec des autos stationnées ; un plan central lumineux avec l’entrée du terminus, l’arrivée des voitures qui récupèrent ou débarquent des passagers, des gens qui marchent sur le trottoir, des autobus en attente stationnés en diagonale sous l’enseigne ; et finalement, un arrière-plan où le ciel est parsemé de petits nuages parfaitement positionnés dans la photo. Dans cette photographie, Rajotte a su magnifier l’architecture de ce modeste bâtiment pour le transformer en une image moderniste du futur.
Principales collections
- Musée d’art contemporain de Montréal.
- Musée des beaux-arts de Montréal
- Musée national des beaux-arts du Québec
01 Lessard, M. (1995). Montréal au XXe siècle, regards de photographes. Les Éditions de l’Homme, p. 172.
02 Le groupe Prisme est composé de Jean Lauzon, de Johane Leblanc, de Normand Rajotte et de Pierre Rondeau, auxquels se sont joint pour une courte période Charles Gauthier et Martin Gendron.
03 Seules les galeries Optica et Dazibao sont toujours actives.
04 Le titre complet du livre est Transcanadienne Sortie 109. Essai photographique sur Drummondville. Il contient un texte de présentation sur les rabats signé Jean Lauzon et Normand Rajotte et une introduction du sociologue Yves Proulx. Le format du livre est de 25 x 21,5 cm (H x L) avec deux rabats de 9 cm chacun. Il compte 108 pages et 108 photographies en noir et blanc.
05 Aujourd’hui le Musée de la photographie Desjardins.
Bibliographie
de Grosbois, L., Chicoine, M., Foy, E, et Poirier, F. (1982). Lâchés lousses. Les fêtes populaires au Québec, en Acadie et en Louisiane. VLB éditeur.
Desgagnés, A. (2014). Le livre photographique au Québec. Intuitions pour une histoire à défricher. Ciel variable, (97), 54-60.
Foglia, P. (1981, 12 décembre) Sortie 109. La Presse, A4.
James, G. (1990). Introduction. Dans Treize essais sur la photographie. Musée canadien de la photographie contemporaine.
Langford, M. (1992). Beau : réflexion sur la nature de la beauté en photographie. Musée canadien de la photographie contemporaine.
Lauzon, J. et Rajotte, N. (1978). Transcanadienne Sortie 109. Éditions OVO.
Lauzon, J. et Deschamps, Y. (1981). Apparence. Éditions OVO.
Lauzon, J. (1987). Drummondvillois. Éditions Comimage.
Lauzon, J. (1993, 15 juillet). Pixels ou sels d’argent. Le Devoir, A7.
Lauzon, J. (1993). Recension de « Une tradition documentaire au Québec ? Quelle tradition ? Quel documentaire? », Annales de l’histoire de l’art Canadien, Montréal, Université Concordia 15(2), 109.
Lauzon, J., Patar, B. Paquin, N. (2015). Aller-Retour Drummondville. Musée populaire de la photographie et Les Presses Philosophiques (préfi).
Lauzon, J. et Boisvert, Y. (2016). Cantonville, Sortie 2015, Longueuil, Les Presses Philosophiques (préfi).
Lauzon, J. (2002). La photographie malgré l’image. Presses de l’Université d’Ottawa.
Lauzon, J. (2008). Ici et là, Drummondville. Musée populaire de la photographie.
Lauzon, J. et Lessard, M. (2020). Ces images qui nous regardent. Éditions Cayenne.
Lauzon, J. et Blanchette, N. (2021). Jean Lauzon Cinquante années de photographie. Les Presses Philosophiques (préfi).
Lauzon, J. (2022). Le droit à l’image. Éditions Cayenne.
Lauzon, J. (2023). Marcher. Éditions Cayenne.
Lauzon, J. (2024). Voyons voir. Éditions Cayenne.
Lessard, M., Allaire, S., Brault, M., Gagnon L., et Lauzon, J. et Corbo, C. (1995). Montréal au XXe siècle, regards de photographes. Les Éditions de l’Homme.
Racine, Y., Payant, R., Letocha, L., Lamarche, L., Godmer, G. et Marchand, S. (1980). Tendances actuelles au Québec. Musée d’art contemporain.
Rajotte, N. (2004), Marcher sa trace. Les 400 coups.
Rajotte, N. et Wombell, P. (2012). Comme un murmure.
Rajotte, N. et Desgagnés, A. (2015). Comme un murmure / Like a Whisper. Kehrer.
Rajotte, N. (2017). Le chantier.
Rajotte, N. (2022). Carcasse. Escuminac et Diaphane.
Rousseau, M.-J. (2018). Territoires I. Éditions Galerie Castiglione.
Viau, R. (1979, 24 janvier). OVO à la Galerie Media. Le Devoir, 8.
Trudel, C. (1978, 25 novembre). Portrait de Drummondville. Le Devoir, 23.
de Grosbois, L., Chicoine, M., Foy, E, et Poirier, F. (1982). Lâchés lousses. Les fêtes populaires au Québec, en Acadie et en Louisiane. VLB éditeur.
Desgagnés, A. (2014). Le livre photographique au Québec. Intuitions pour une histoire à défricher. Ciel variable, (97), 54-60.
Foglia, P. (1981, 12 décembre) Sortie 109. La Presse, A4.
James, G. (1990). Introduction. Dans Treize essais sur la photographie. Musée canadien de la photographie contemporaine.
Langford, M. (1992). Beau : réflexion sur la nature de la beauté en photographie. Musée canadien de la photographie contemporaine.
Lauzon, J. et Rajotte, N. (1978). Transcanadienne Sortie 109. Éditions OVO.
Lauzon, J. et Deschamps, Y. (1981). Apparence. Éditions OVO.
Lauzon, J. (1987). Drummondvillois. Éditions Comimage.
Lauzon, J. (1993, 15 juillet). Pixels ou sels d’argent. Le Devoir, A7.
Lauzon, J. (1993). Recension de « Une tradition documentaire au Québec ? Quelle tradition ? Quel documentaire? », Annales de l’histoire de l’art Canadien, Montréal, Université Concordia 15(2), 109.
Lauzon, J., Patar, B. Paquin, N. (2015). Aller-Retour Drummondville. Musée populaire de la photographie et Les Presses Philosophiques (préfi).
Lauzon, J. et Boisvert, Y. (2016). Cantonville, Sortie 2015, Longueuil, Les Presses Philosophiques (préfi).
Lauzon, J. (2002). La photographie malgré l’image. Presses de l’Université d’Ottawa.
Lauzon, J. (2008). Ici et là, Drummondville. Musée populaire de la photographie.
Lauzon, J. et Lessard, M. (2020). Ces images qui nous regardent. Éditions Cayenne.
Lauzon, J. et Blanchette, N. (2021). Jean Lauzon Cinquante années de photographie. Les Presses Philosophiques (préfi).
Lauzon, J. (2022). Le droit à l’image. Éditions Cayenne.
Lauzon, J. (2023). Marcher. Éditions Cayenne.
Lauzon, J. (2024). Voyons voir. Éditions Cayenne.
Lessard, M., Allaire, S., Brault, M., Gagnon L., et Lauzon, J. et Corbo, C. (1995). Montréal au XXe siècle, regards de photographes. Les Éditions de l’Homme.
Racine, Y., Payant, R., Letocha, L., Lamarche, L., Godmer, G. et Marchand, S. (1980). Tendances actuelles au Québec. Musée d’art contemporain.
Rajotte, N. (2004), Marcher sa trace. Les 400 coups.
Rajotte, N. et Wombell, P. (2012). Comme un murmure.
Rajotte, N. et Desgagnés, A. (2015). Comme un murmure / Like a Whisper. Kehrer.
Rajotte, N. (2017). Le chantier.
Rajotte, N. (2022). Carcasse. Escuminac et Diaphane.
Rousseau, M.-J. (2018). Territoires I. Éditions Galerie Castiglione.
Viau, R. (1979, 24 janvier). OVO à la Galerie Media. Le Devoir, 8.
Trudel, C. (1978, 25 novembre). Portrait de Drummondville. Le Devoir, 23.