Evariste Desparois : chaînon manquant du surréalisme montréalais ?

Période

Il peut être difficile de découvrir de nouveaux photographes que le temps aurait occultés. Les expositions et les publications grand public ciblent souvent les mêmes figures établies, laissant dans l’ombre de très nombreux visages et œuvres qui attendent d’être redécouvertes. Les méthodes récentes de recherche ouvertes par la numérisation, l’accès numérique simplifié aux archives et l’intelligence artificielle créent un vif engouement chez les historiens et archéologues des médias qui voudraient retrouver des artistes ou des photographes négligés ou oubliés.

Evariste Desparois (ou « Des Parois »), récemment redécouvert, est un exemple de ce rajustement. Actif surtout de 1945 à 1965, il produit des œuvres au succès international, avant qu’elles ne soient plongées dans l’obscurité. Son oubli est d’autant plus frappant vu la richesse iconographique, la qualité esthétique et le rayonnement de ses œuvres au moment de leur création. La réapparition de ses photographies lors d’une vente aux enchères en Europe en 2020 a provoqué une onde de choc qui oblige une relecture de l’histoire de la création photographique au Québec au milieu du XXe siècle.

Né à Montréal, Evariste Desparois fréquente le Collège Mont Saint-Louis avant de devenir photographe attitré pour la revue culturelle Le Passe-Temps entre 1945 et 1948, où il publie des portraits souvent inusités, dans un style évoquant le travail du photographe américain William H. Mortensen. Ses sujets sont des personnalités artistiques québécoises en émergence ou plus connues, provenant des domaines du théâtre, de la musique, de la peinture ou de la poésie.

Pendant ces années, Desparois produit une suite exceptionnelle de photomontages surréalistes inspirés des poésies symbolistes de Charles Baudelaire et d’Aloysius Bertrand ou encore des œuvres musicales des compositeurs (Beethoven, Debussy, Ravel, Satie, Stravinsky et Wagner). À la fin du mois d’août 1948, soit quelques semaines après le lancement du Refus global, Desparois en montre d’abord un échantillon à un public québécois, puis dans les deux années qui suivent, il les expose dans plusieurs capitales européennes.

Son arrivée à Paris est triomphale : le Tout-Paris est invité au vernissage de son exposition Photos imaginaires, tenue à la Galerie L’Arc-en-ciel. Parmi les personnes présentes, l’auteur Jean Cocteau, le compositeur Olivier Messiaen, mais aussi les photographes Brassaï, François Boucher et Laure-Albin Guillot. C’est vraisemblablement à cette occasion que Desparois rencontre plusieurs membres des groupes surréalistes européens aux visées internationales. Il s’installe ensuite à Paris et s’associe aux designers de haute couture Christian Dior et Nina Ricci à l’occasion d’une publication collective qu’il illustre d’une suite de quinze compositions photographiques.

Il fait quelques sauts au Québec dans les années 1950 pour exposer ses photographies avant un retour définitif en 1958 pour devenir caméraman et photographe pigiste à Radio-Canada et à La Presse. Puis, après une importante collaboration à l’ouvrage de Jean Palardy Les meubles anciens du Canada français (1963), il cesse de publier son travail. Il ne refera surface qu’une dernière fois dans un article du collectionneur Gilles Rioux publié en 1975 dans Vie des arts où l’on peut voir d’autres œuvres de l’ensemble original de 1948 qui avait fait sa renommée.

Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! – Rapide, avec sa voix
D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !

Baudelaire, « L’Horloge », Les Fleurs du mal

Tels sont les mots employés par le poète français Charles Baudelaire qui inspirent cette œuvre. L’assemblage reprend des éléments du poème pour créer une allégorie visuelle. On y reconnaît un papillon nocturne, un insecte dont l’ocelle (un motif d’œil sur les ailes) est remplacé par un autoportrait de Desparois. La trompe démesurée du papillon baigne dans un bécher, pour en aspirer le sombre liquide. Par ce photomontage, l’artiste fait résonner le poème avec son propre travail en chambre noire. Le liquide dans un gobelet de laboratoire évoque le révélateur qui développe les photographies et les souvenirs du poète de l’image. Il évoque aussi une clepsydre : une horloge à eau qui, comme les horloges à cadran sur l’image, permet de mesurer la durée d’exposition des épreuves à l’agrandisseur ou le temps de leur développement. Un pendu et des ciseaux évoquent la fatalité du destin de l’individu, dont l’existence ne tient qu’à un fil. En se représentant lui-même au sein d’un assemblage visuel complexe, sorte de machine de Rube Goldberg[01], et en s’appropriant le poème de Baudelaire, Desparois pose un regard érudit, mais désenchanté sur sa propre création.

Il décède à Verdun, dans la région de Montréal, en 1986. Comment un tel contemporain de Prisme d’yeux et du Refus global a-t-il été ainsi occulté de l’histoire ? Qu’est-il advenu de ses tirages, négatifs, et archives ? Nul ne saurait mieux dire que les vers de Baudelaire :

Le jour décroît; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.

Principales collections

  • Musée national des beaux-arts du Québec

 

Sébastien Hudon

01 Un dessinateur de bande dessinées américain connu pour ses machines inventées et mettant souvent en scène des réactions en chaîne très compliquées visant à effectuer une tâche excessivement simple.

Bibliographie

Photographie Artistique. (1948, 2 septembre). Photo-Journal, 7.

Photos de Des Parois. (1949, 26 janvier). La Presse, 8.

Le monde irréel d’Ev[ariste] Desparois. (1952, 4 juin), La Presse, 24.

Imagination et photos réunies. (1952, 5 juin). Le Canada, 14.

Chevallier, S. (dir.). (1950).  L’Éternel féminin (La voix des poètes, vol.2). Cahiers d’art et d’amitié Paul Mousoury.

Gladu, P. (1952, 20 juin). Evariste Desparois. Le Canada, 4.

Hård af Segerstad, U. (1949). Surrealism än en Gång. Foto, 1, 12-15.

Hudon, S. (2021). Évariste Desparois (1920-?). Histoire d’une disparition. Ciel variable, 117, 53-61.

Palardy, J. (1963). Les meubles anciens du Canada français. Arts et métiers graphiques.

Rioux, G. (1975). Desparois : La Lanterne magique. Vie des arts, 20(80),50-51.