Le pictorialisme au Québec

Sydney Carter (1880-1956), Fantasy, vers 1921[?], Épreuve à la gélatine argentique sur support cartonné, 244 x 191 mm (épreuve), 606 x 506 mm (support), Bibliothèque et Archives Canada / 3406315
Le pictorialisme est peut-être l’une des tendances esthétiques de la photographie la mieux connue et la plus facilement définissable. En termes simples, le pictorialisme cherche à conférer au tirage photographique une valeur artistique par l’introduction de sujets classiques, propres au monde pictural et souvent déjà codifiés (portraits, paysages, scènes de genre, natures mortes, etc.), mais aussi de qualités plastiques que l’on reconnaît aux œuvres des beaux-arts traditionnels en deux dimensions comme la peinture et le dessin au crayon ou à l’efface. Plus spécifiquement, on rapprochera le fini des œuvres pictorialistes à l’estampe en mezzotinte ou « manière noire » qui, comme la photographie, se multiple à partir d’une matrice.
Ce n’est donc pas un hasard si les premières expériences du pionnier de la photographie Nicéphore Niépce étaient à l’origine des reproductions de gravures exposées plusieurs jours au soleil sur une plaque recouverte de bitume. Il n’y a pas non plus à s’étonner que cette tendance ait connu une forte popularité, puisque beaucoup de photographes avant 1930 avaient généralement acquis une solide formation académique tant en beaux-arts qu’en sciences avant de s’approprier le médium photographique.
Le plus souvent, la vision « pictorialiste » baigne ses sujets dans une atmosphère dense et vaporeuse inspirée de l’impressionnisme ou du symbolisme en peinture, et crée des effets veloutés et complexes sur des papiers parfois préparés de manière artisanale. Ces effets sont obtenus avec des impressions remaniées ou retouchées, dont les tonalités se trouvent souvent enrichies à l’aide de solutions de virage à base de métaux précieux autres que l’argent, tels l’or ou le sélénium. Pour le photographe de cette époque charnière qui précède la modernité picturale, hisser son média de prédilection dans les rangs des beaux-arts marque une délimitation entre la « grande culture » et la culture populaire ; entre ce qui appartient à l’Art ou non. Au Québec, le pictorialisme connaît son apogée entre 1888 et 1925, époque qui coïncide avec l’apparition des premiers appareils de type Kodak et la formation des « clubs photographiques amateurs » des villes de Québec et Montréal. Dans ces groupes, presque tous les membres proviennent de classes aisées et désirent que leurs œuvres répondent le plus possible à l’esthétique susnommée.
Bien qu’à Québec certains travaux des studios rivaux des Montmigny et Livernois montrent par moments une inclinaison vers le pictorialisme et que l’on note malgré tous les essais isolés de quelques canadiens-français montréalais tels que Lactance Giroux (1869-1942), Jean-Onésime Legault (1882-1944) ou des studios associatifs comme ceux de Laprès et Lavergne (actifs de 1890-1914) ou de Dupras et Colas (actifs entre 1906-1944) c’est plus spécialement dans la communauté anglophone réunie autour du Montreal Camera Club et de la figure de Sidney Carter (1880-1956) que les photographes pictorialistes se regrouperont.
Or, si la figure de Sidney Carter est si importante pour le pictorialisme au Québec, c’est qu’il est à l’origine de deux expositions importantes à Montréal en 1907 et 1913. Il agit ainsi comme une courroie de transmission entre la métropole et le Toronto Camera Club d’où il est issu. La plupart des œuvres présentées lors de ces deux expositions proviennent d’artistes photographes de partout en Occident, et plus particulièrement du groupe new-yorkais Photo-Secession, où les photographes pictorialistes les plus connus fondent et publient dans la célèbre revue Camera Work. On pense ici à Gertrude Käsebier (1852-1934), Alfred Stieglitz (1864-1946), Edouard Steichen (1879-1973) et tant d’autres.
L’exemple fourni est une suave rêverie photographique dans laquelle Sidney Carter marie l’intérêt pour les motifs orientalistes (estampes japonaises, vases chinois, etc.) en continuation du postimpressionisme et le motif de la femme aux cheveux longs et défaits, propre aux peintres et photographes préraphaélites anglais tels que Julia Margaret Cameron (1815-1879). Cette image claire-obscure traversée de lignes de force sinueuses aux contours adoucis ne manque pas de rappeler les fameux portraits d’Alice Liddell (1852-1934) véritable inspiratrice des Aventures d’Alice au pays des merveilles du romancier et photographe Lewis Caroll. Par son image, Carter nous emporte dans les prolongements de l’imaginaire victorien peuplé de personnages fantastiques.
Principales collections
- Bibliothèque et Archives Canada
- Musée des beaux-arts du Canada
- Musée national des beaux-arts du Québec
- Musée des beaux-arts de Montréal
Bibliographie
Calvin-Strong, D. (1994). Sidney Carter (1880-1956) and the politics of pictorialism [mémoire de maîtrise]. Université Concordia.
Koltun, L. et Tessier, G. (1985). Le Cœur au métier : la photographie amateur au Canada de 1839 à 1940. Archives publiques Canada.
Nordström, A. et al. (2008). Truth Beauty : Pictorialism and the Photograph as Art, 1845-1945. Vancouver Art Gallery.
Calvin-Strong, D. (1994). Sidney Carter (1880-1956) and the politics of pictorialism [mémoire de maîtrise]. Université Concordia.
Koltun, L. et Tessier, G. (1985). Le Cœur au métier : la photographie amateur au Canada de 1839 à 1940. Archives publiques Canada.
Nordström, A. et al. (2008). Truth Beauty : Pictorialism and the Photograph as Art, 1845-1945. Vancouver Art Gallery.